C‘est l’un des plus importants rappels dans le demi-siècle d’histoire d’Airbus. Près de 6 000 avions A320 d’Airbus doivent remplacer en urgence un logiciel de commande vulnérable aux radiations solaires après un «événement» aux Etats-Unis fin octobre, a annoncé en urgence vendredi 28 novembre au soir un porte-parole de l’avionneur. Airbus a notifié aux compagnies dans le monde utilisant ce logiciel sur leurs appareils «d’arrêter immédiatement les vols», entraînant des retards et des annulations en pagaille. Origine, explication, conséquences… Libé fait le point sur cet incident technique historique.
Entré en exploitation en 1988, l’Airbus A320 est un avion de ligne moyen-courrier monocouloir, capable de transporter entre 140 et 240 passagers, suivant la version.
L’A320 est l’avion le plus vendu au monde. Il a récemment détrôné le 737 du constructeur américain Boeing, dont le premier exemplaire a été livré en 1968 : fin septembre, Airbus avait livré 12 257 exemplaires de son A320 (versions d’affaires incluses) contre 12 254 exemplaires du 737.
C’est donc la moitié de la flotte d’Airbus A320 qui est concernée par cet incident technique. Au moment où l’avionneur européen a publié son alerte à l’intention des plus de 350 exploitants de l’avion, quelque 3 000 appareils de la famille A320 étaient en vol, selon l’agence Reuters.
Quatre des dix plus grands exploitants mondiaux de la famille A320 sont des compagnies aériennes américaines majeures : American Airlines, Delta Air Lines, JetBlue et United Airlines. Les transporteurs chinois, européens et indiens figurent également parmi les plus gros clients de cet avion.
Le 30 octobre, un Airbus A320 de JetBlue a connu un problème de contrôle en vol à cause d’un dysfonctionnement informatique. L’incident s’est produit en phase de croisière entre Cancun (Mexique) et Newark (Etats-Unis), lorsque l’appareil a soudainement piqué vers le bas sans l’intervention des pilotes.
Les pilotes ont amorcé la phase de descente puis posé l’avion à Tampa, en Floride. Les pompiers de la ville avaient fait état auprès des médias américains de blessés parmi les passagers.
Cette analyse a «révélé que des radiations solaires intenses pourraient corrompre des données essentielles au fonctionnement des commandes de vol», a rapporté le groupe européen. Les radiations solaires sont les rayonnements émis par le Soleil. Ceux-ci «font peser un risque sur les avions puisqu’elles peuvent dégrader les composants électroniques», pointe auprès du Figaro François Ginisty, chercheur et fondateur d’Augura Space.
La note d’Airbus attribue le problème à un calculateur profondeur-ailerons (ELAC). Cette machine fait l’intermédiaire entre les commandes du manche du pilote et les gouvernes de profondeur situées à l’arrière. Celles-ci contrôlent à leur tour le tangage – l’angle du nez de l’avion vers le haut ou le bas.
«Un pilote n’agit pas directement sur les gouvernes. Aujourd’hui, on agit sur des calculateurs auxquels on donne des ordres et ensuite, les calculateurs analysent la situation et la position des gouvernes, puis la modifient en fonction de l’objectif qui est cherché par le pilote et le pilote automatique», explicite Michel Polacco, ex-pilote et spécialiste des questions d’aéronautique, dans Le Parisien.
Cette pièce est fabriquée par Thales. Mais ce fournisseur d’Airbus a précisé à l’AFP qu’il n’était pas responsable du problème. «La fonctionnalité dont il est question est portée par un logiciel qui n’est pas de responsabilité Thales», a-t-il affirmé. Airbus n’a pas précisé quelle entreprise avait conçu et mettait à jour ce logiciel.
Pour la plupart des avions, le changement de logiciel avec sa version précédente prendra «quelques heures». La solution consiste à revenir à une version antérieure du logiciel et est relativement simple, peut se faire à distance, mais elle doit être mise en œuvre avant que les avions puissent reprendre leur service, selon le bulletin destiné aux compagnies aériennes consulté par Reuters.
Mais pour quelque 1 000 avions, cela impliquera le changement du matériel informatique avec le passage par des centres de réparation, «ce qui prendra des semaines», a expliqué une source proche du dossier.
Cet incident survient à un moment où les ateliers de réparation des compagnies aériennes sont déjà submergés par les travaux de maintenance, car des centaines d’avions Airbus ont été immobilisés en raison des longs délais d’attente pour les réparations ou les inspections des moteurs. Le secteur souffre également d’une pénurie de main-d’œuvre. «Le moment n’est certainement pas idéal pour qu’un problème comme celui-ci survienne sur l’un des avions les plus répandus» dans le monde, a souligné auprès de Reuters Mike Stengel, d’AeroDynamic Advisory.
«Airbus reconnaît que ces recommandations entraîneront des perturbations opérationnelles pour les passagers et les clients. Nous présentons nos excuses pour les désagréments causés et travaillerons en étroite collaboration avec les opérateurs, tout en maintenant la sécurité comme notre priorité absolue et primordiale», écrit l’avionneur européen.
Evoquant ce samedi matin sur BFM un incident «pas très grave mais suffisamment alertant» pour déclencher ce dispositif, le ministre de l’Economie Roland Lescure, a dit espérer un «un retour à la normale très rapide». Le ministre des Transports, Philippe Tabarot, devrait s’exprimer dans le courant de la matinée.
Auprès de Radio France et France Télévisions, un porte-parole d’Air France a laissé entendre qu’il y allait encore avoir des retards ce samedi : les passagers de la compagnie «arriveront à destination» mais «pas forcément à l’heure initialement prévue». En revanche, il prévoit un «retour à la normale pour demain», dimanche, sauf pour les vols qui relient entre elles les destinations des Caraïbes.
L’appel a provoqué retards et annulations aux quatre coins du monde. Air France a annulé 35 vols vendredi soir, «dont une dizaine à Paris», soit 5 % de ses trajets. La compagnie a déclaré vendredi soir être en train de compter dans la soirée le nombre exact pour samedi. «Les clients concernés par des annulations sont informés individuellement par SMS et email», a précisé un porte-parole de la compagnie.
Certaines compagnies sont particulièrement touchées. La colombienne Avianca, par exemple, estime que 70 % de sa flotte est concernée, et entrevoit des «perturbations importantes dans les dix jours à venir», a-t-elle écrit dans un communiqué. La vente de billets est suspendue jusqu’au 8 décembre. L’entreprise japonaise ANA, la plus grande compagnie du Japon, a déclaré avoir annulé 65 vols ce samedi après que le rappel des Airbus A320 l’a contrainte à immobiliser certains appareils. Aux Philippines, les compagnies locales Philippine Airlines et Cebu Pacific ont dû annuler plus de 40 vols et proposé remboursement et changements de dates aux passagers lésés.
Air India et Indigo, deux des principales compagnies aériennes indiennes, connaissent également des retards ce samedi dus à l’immobilisation de certains appareils. Mais elles déclarent avoir mené des opérations sur respectivement 40 et 60 % de leurs Airbus concernés.
Mais globalement, l’impact semble rester plutôt limité. Aux Etats-Unis, dans ce week-end de Thanksgiving qui est l’un des plus chargés de l’année, American Airlines ne prévoit que «quelques retards» alors qu’elle dispose de 480 appareils A320, dont 340 affectés par le problème. Elle a déclaré avoir déjà commencé à mettre à jour le logiciel de navigation après avoir reçu la notification vendredi. Cette compagnie prévoit que l’intervention aura été effectuée sur «la grande majorité» des avions concernés de sa flotte d’ici à samedi.
Après avoir initialement assuré ne pas être «affecté», sa concurrente United Airlines a finalement dénombré six appareils concernés et dit s’attendre à «des perturbations mineures sur quelques vols». Quant à Delta Air Lines, il comptait avoir effectué les mises à jour nécessaires d’ici samedi matin, sur une partie de ses A320 et A321neo.
La compagnie aérienne sud-coréenne Korean Air annonce que les travaux seront terminés d’ici à dimanche matin sur ses 10 appareils Airbus nécessitant une mise à jour logicielle. La Britannique Easyjet a annoncé avoir déjà terminé les travaux.