Comme d’autres, il pensait suivre une formation d’un an de garde du corps en Russie. Père de trois enfants, sans emploi : l’homme de 46 ans a vu une opportunité pour résoudre ses difficultés. D’autant que la proposition, séduisante, émane de Duduzile Zuma-Sambudla, la fille de Jacob Zuma, l’ancien président sud-africain : à l’issue de cette période d’un an à apprendre le métier, elle lui promet qu’il pourra travailler en tant qu’agent de sécurité pour le parti politique de son père.

Mais une fois sur place, le rêve devient cauchemar : les « formateurs » donnent au quadragénaire un treillis militaire et un fusil, et l’emmènent à Rostov, dans le sud du pays. Peu de temps après, le voilà en première ligne de la guerre en Ukraine, dormant dans des tranchées au milieu des champs de bataille du Donbass, des chars et des drones. « On nous a menti. Il n’y a pas eu d’entraînement pour les gardes du corps. On partait à la guerre », témoigne-t-il au New York Times ce 29 novembre, amer. Au total, 17 autres hommes seraient tombés dans un piège similaire.

Une enquête ouverte

En Afrique du Sud, cette affaire a progressivement pris de l’ampleur, au point que le président, Cyril Ramaphosa, a annoncé l’ouverture d’une enquête sur les circonstances de leur « recrutement ». Une unité d’élite de la police, elle, examine la possibilité de poursuites pénales contre Duduzile Zuma-Sambudla, visée aussi par une plainte de sa sœur, Nkosazana Zuma-Mncube. Dans un communiqué publié le 22 novembre, cette dernière accuse Duduzile Zuma-Sambudla et deux autres personnes de trafic d’êtres humains, d’escroquerie et de soutien à une armée étrangère, assurant que huit membres de leur propre famille auraient été illégalement enrôlés dans l’armée russe. L’Alliance démocratique, deuxième parti politique d’Afrique du Sud, a également porté plainte, après avoir présenté des captures d’écran de ce qu’ils ont décrit comme des échanges de SMS entre Duduzile Zuma-Sambudla et certains de ces recruteurs.

LIRE AUSSI : Sommet du G20 : comment l’Afrique du Sud tire parti de l’absence des Etats-Unis

De son côté, la principale mise en cause, aussi députée du premier parti d’opposition, Umkhonto we Sizwe (MK), a démissionné de son poste, déclarant sous serment qu’elle pensait que ces hommes se rendaient en Russie pour un entraînement « légal ». La fille de l’ex-président avait elle-même participé à un de ces fameux stages en Russie pendant un mois, affirmant n’avoir jamais été exposée à des combats. « Ces personnes sont arrivées environ une semaine après moi. J’ai partagé des informations innocemment : je n’ai persuadé ni fait pression sur aucune d’entre elles. Le fait que des membres de ma propre famille aient choisi de participer prouve que je n’avais aucune raison de soupçonner que le programme était dangereux », mentionne-t-elle dans sa déclaration à la police, consultée par le média sud-africain Daily News.

Nathi Nhleko, organisateur national du MK, a assuré de son côté que le parti n’était « pas impliqué dans l’affaire russo-ukrainienne », et a souligné que la démission de l’ancienne députée ne constituait en aucun cas un aveu de culpabilité. La loi sud-africaine criminalise en effet le fait de servir dans une armée étrangère sans autorisation gouvernementale.

Une réputation sulfureuse

Au cœur de ce dossier brûlant, Duduzile Zuma-Sambudla a une réputation sulfureuse. L’ancienne élue est actuellement jugée pour trahison, incitation au terrorisme et à la violence, en raison de son rôle présumé dans les émeutes meurtrières qui ont secoué le pays en 2021, après l’arrestation de son père, ayant fait plusieurs centaines de morts. Depuis plusieurs années, Jacob Zuma entretenait des liens étroits avec le gouvernement russe, et Duduzile Zuma-Sambudla elle-même a exprimé à plusieurs reprises son soutien à la Russie sur les réseaux sociaux. La Direction des enquêtes sur les crimes prioritaires, connue en Afrique du Sud sous le nom de Hawks, a confirmé qu’elle enquêtait actuellement sur elle, bien que les charges restent encore à déterminer, ont précisé les autorités.

LIRE AUSSI : Un « génocide anti-Blancs » en Afrique du Sud ? La lubie infondée de Donald Trump

En dehors de cette affaire, l’Ukraine a accusé à plusieurs reprises la Russie de recourir à la ruse pour recruter des combattants à travers l’Afrique, où de nombreux gouvernements entretiennent des liens étroits avec le Kremlin, hérités du soutien apporté par l’Union soviétique aux mouvements d’indépendance africains. Andrii Sybiha, ministre ukrainien des Affaires étrangères, a publié ce mois-ci sur les réseaux sociaux que plus de 1 400 citoyens de 36 pays africains combattaient pour la Russie, des chiffres néanmoins impossibles à vérifier de manière indépendante.