LyonMag : Après dix-huit mois à la tête du parquet, quel regard portez-vous sur le tribunal de Lyon ?
Thierry Dran : C’est difficile de faire un constat aujourd’hui. C’est un grand tribunal, avec un fonctionnement qui prend du temps à appréhender. Il m’a fallu six mois pour comprendre comment il tourne vraiment. En réalité, je n’ai qu’un an de recul opérationnel. C’est un environnement où l’on doit sans cesse s’adapter : à la délinquance, aux périodes plus tendues, aux nouveaux phénomènes. S’adapter, c’est le nerf de la guerre chez nous. Le regard que je porte aujourd’hui est plutôt positif : les gens travaillent, sont de bonne volonté, ce qui n’est pas toujours le cas ailleurs. Mais nous restons en sous-effectifs, au parquet comme au siège, et aussi parmi les fonctionnaires du greffe. Alors oui, nous devons faire des choix, c’est ce qu’on appelle la politique pénale.
Vous avez entrepris une réorganisation importante du parquet. Quels en sont les effets ?
Nous avons mené une restructuration majeure à l’automne 2024, amorcée par mon prédécesseur. Ce genre de changement ne se fait pas en un claquement de doigts : il faut revoir les pratiques, expliquer, convaincre. Cette réforme poursuivait quatre objectifs. Le premier, c’était de recentrer la JIRS sur son cœur de métier : la criminalité organisée et la délinquance financière. Avant, il y avait un chevauchement entre grande criminalité et délinquance organisée, peu lisible pour les enquêteurs. Désormais, la JIRS ne traite que le « haut spectre ». La délinquance organisée, elle, a été intégrée à une autre division, avec des circuits plus courts : comparution immédiate, procédure à bref délai, voire ouverture d’information. Chaque magistrat est compétent pour un secteur territorial. Le deuxième axe concernait les jeunes magistrats : ils souhaitaient exercer un éventail complet de missions, au-delà des permanences et des comparutions immédiates, ce que la nouvelle organisation leur permet désormais. Troisième axe : la création d’une section “famille” regroupant violences intrafamiliales (les VIF, ndlr) et parquet des mineurs. C’est la plus grosse section du parquet. Les violences intrafamiliales ont souvent des conséquences sur les enfants ; il était logique de traiter ces dossiers ensemble. Enfin, une division transversale de prévention a été mise en place. L’idée, c’est d’avoir un parquet mieux structuré, plus cohérent.
Par manque de personnel, vous avez évoqué le fait de “faire des choix”. Cela signifie quoi concrètement ?
Il faut hiérarchiser les priorités. C’est ce qu’on appelle la politique pénale. Certaines politiques pénales sont nationales. Par ailleurs, la lutte contre les VIF, par exemple, reste une priorité absolue à Lyon. Cela se traduit par des circuits accélérés et une exécution plus rapide des peines. D’autres priorités sont locales. Ces derniers mois, nous avons observé une forte hausse des vols avec violence, du type arrachages de colliers. C’est un phénomène nouveau, donc nous adaptons notre réponse : comparutions immédiates quasi systématiques, mineurs compris. Nous restons également mobilisés sur la lutte contre les atteintes à l’environnement, moins visible médiatiquement, mais bien réelle. Et bien sûr, le trafic de stupéfiants demeure une priorité nationale et locale.
Les coups de filet récents dans les affaires de stupéfiants ont-ils porté leurs fruits ?
Difficile à dire, mais oui, nous avons porté des coups aux trafiquants. Les enquêtes sont longues, mais nous avons identifié plusieurs têtes de réseau. Les opérations de type Place nette XXL ont permis de marquer des points. À Villeurbanne, la situation s’est globalement améliorée. Je ne dirais pas que la guerre est gagnée, mais elle avance. C’est une guerre de longue haleine. Il y a encore des quartiers complexes, beaucoup d’argent en jeu. On finira par la gagner, mais ça prend du temps.
Les moyens judiciaires sont-ils suffisants pour mener ce combat ?
Nous sommes le troisième tribunal de France en volume d’affaires, devant Marseille, mais loin d’être le troisième en effectif. En Europe, la moyenne est de 11,2 magistrats du parquet pour 100 000 habitants. En France, c’est 3,2. À Lyon, nous sommes à 2,4. Le calcul est vite fait. Cela ne veut pas dire que tout va mal : l’équipe autour du magistrat s’est quand même développée, mais nous restons loin du compte.
Le sentiment d’insécurité semble s’accentuer dans l’opinion publique. Partagez-vous ce constat ?
Un magistrat ne s’occupe pas des sentiments. Il applique la loi et s’occupe de fait. Il y a, comme je l’ai dit précédemment, une hausse des agressions et des vols violents. Face à cela, il n’y a pas trente-six solutions : Il faut donc demander aux forces de l’ordre de mettre l’accent sur ce type de fait, de faire le plus d’interpellations possibles et dès qu’il y a une interpellation, nous, on les défère au tribunal. Contrairement à ce qu’on entend, les tribunaux ne sont pas laxistes. On n’a jamais envoyé autant de gens en prison. Mais avec jusqu’à 170 000 procédures par an et seulement 60 000 places pour plus de 80 000 détenus, il y a des peines de prison qui ne sont pas adaptées. Certaines infractions appellent à d’autres sanctions : amendes, jour amende, travail d’intérêt général, stages. Le « tout carcéral » n’est pas la solution. Même si ça peut l’être dans certains cas, je n’ai pas honte de le dire.
Propos recueillis par Alexis Alouache