BASTIEN OHIER / Hans Lucas via AFP
Jordan Bardella à l’occasion de la sortie de son livre, à Paris, le 28 octobre 2025.
La mine est grave. Et les moyens des grands jours déployés. Dans une vidéo publiée sur son compte X vendredi 28 novembre, le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, appelle à « se mobiliser » contre un décret du ministère de l’Économie publié début novembre, et qui provoque la grogne de l’industrie pétrolière. L’eurodéputé dénonce une « agression fiscale » qui va affecter les prix « sur le carburant, le fioul, le gaz et l’électricité » au 1er janvier 2026.
« Nous pouvons et nous devons, avec votre soutien, faire annuler ce décret de la honte », s’emporte le dauphin de Marine Le Pen, appelant ses soutiens à faire pression sur les réseaux sociaux pour « faire reculer le gouvernement ». Une présentation (trompeuse) des choses qui a fait bondir le ministre de l’Économie Roland Lescure. « Soit il ne sait pas de quoi il parle, soit il ment comme un arracheur de dents », a fustigé le locataire de Bercy ce samedi 29 novembre sur BFMTV.
Avant lui, c’est le ministre délégué chargé de la transition écologique, Mathieu Lefèvre, qui dénonçait sur les réseaux sociaux la « fake news » de Jordan Bardella, en plein « n’importe quoi énergétique ». Mais de quoi parle-t-on précisément ? Disons-le d’emblée : nulle taxe supplémentaire et nulle augmentation du prix du carburant décidées par le gouvernement (qui n’en a, de toute façon, pas la compétence).
Marché obligataire
Ce dont parle Jordan Bardella concerne le dispositif national des CEE (Certificats d’économies d’énergie), en vigueur en France depuis 2006. Ce mécanisme, qui repose sur le principe du pollueur-payeur, oblige les fournisseurs d’énergie à financer des actions de transition écologique, soit à travers des travaux ou des actions concrètes générant des certificats, soit à travers l’achat de CEE, dont le prix est fixé tous les 3-4 ans. La cinquième période arrivant à échéance, l’ampleur de ces obligations a été rediscutée cet été en consultation avec le Conseil supérieur de l’énergie (CSE), une instance consultative réunissant parlementaires, élus locaux, ONG et professionnels du secteur.
La décision prise cet été : que ces obligations annuelles soient portées à 8 milliards d’euros en 2026, contre 6 milliards en 2025. Il s’agit, rappelons-le, d’un marché obligataire. Et l’argent généré par ce marché finance la transition énergétique. Donc, à l’inverse d’une taxe, rien ne va dans les caisses de l’État, mais vers des subventions pour la rénovation énergétique ou les bonus pour les voitures électriques, par exemple. Pourtant, le RN continue de présenter ceci comme une « augmentation de 2 milliards d’euros des taxes sur les carburants, le fioul, le gaz et l’électricité ».
Mais pourquoi est-ce présenté ainsi ? Et pourquoi le RN se réveille fin novembre ? Au-delà de la probable volonté de jouer sur l’ambiguïté liée à l’examen des textes budgétaires au Parlement, la croisade du RN en rencontre une autre. Pour comprendre, il faut se tourner vers l’Union française des industries pétrolières (Ufip), qui n’est ni plus ni moins qu’un lobby défendant les intérêts de son secteur. Lesquels sont assez éloignés, par ailleurs, de la transition énergétique. En début de semaine, cette organisation patronale est montée au créneau pour alerter contre une décision qui allait se répercuter sur les prix des carburants. « Je m’attends à ce que les prix à la pompe augmentent (…) de l’ordre de 4 à 6 centimes par litre », a expliqué à l’AFP Olivier Gantois, directeur de l’Ufip Énergies et mobilités.
« Ça fait très concerté »
Selon lui, les CEE pèsent actuellement pour 11 centimes dans le prix du litre de carburant. Avec ce décret, cela devrait passer de « 15 à 17 centimes, et ça c’est dès le 1er janvier ». Un chiffrage qui fait tousser à Bercy. « La moyenne du poids des CEE sur le prix au litre que l’on constate est de 7 centimes sur la période », souffle au HuffPost une source au ministère de l’Économie, avant de livrer une explication sur cette différence de prix.
« Comme on arrive à la fin du cinquième cycle, et que certains énergéticiens qui n’ont pas rempli leurs obligations en la matière ont jusqu’au mois de juin 2026 pour se mettre en conformité, le cours des CEE augmente, puisque c’est un marché. Et quand tout le monde sera remis à niveau, ce cours va baisser. Mais les prix qui circulent ces derniers jours sont volontairement gonflés », expose un conseiller qui juge « étrange » que le RN soit parfaitement aligné avec l’offensive des pétroliers sur le sujet.
« Tout était su depuis cet été, le décret a été publié le 6 novembre, mais ils sortent maintenant, ça fait très concerté », estime notre interlocuteur, qui rappelle au passage que le député RN, Jean-Philippe Tanguy, siège au Conseil supérieur sur l’énergie. Pour autant, et personne ne le conteste, il est certain que des pétroliers veuillent répercuter cette hausse sur le prix, plutôt que sur leurs marges. Ce qui est, objectivement, l’un des principaux défauts du dispositif pointé en 2024 par la Cour des comptes, qui observait que « les fournisseurs d’énergie répercutent les coûts nécessaires à l’obtention des certificats dans leurs prix de vente ». Un écueil qui n’est pas ignoré à Bercy.
Sur son compte Bluesky, Roland Lescure reconnaît que « l’impact existe », mais pas forcément chez tous les fournisseurs. « La plupart des énergéticiens ne répercutent que marginalement les CEE sur les consommateurs. D’autres décident de se servir des CEE comme d’une excuse pour augmenter leurs prix. Il semblerait que le RN préfère récupérer les arguments des pétroliers pour propager de fausses informations plutôt que de chercher des solutions concrètes aux problèmes des Français », a accusé le ministre de l’Économie.
En résumé, oui il est possible que certains énergéticiens augmentent (et sensiblement) le prix à la pompe pour amortir la charge des CEE, dont le but vise à financer la transition énergétique à destination des ménages. Mais non, il ne s’agit pas d’une « agression fiscale » du gouvernement, puisqu’il ne s’agit ni d’une taxe, ni d’un impôt, mais d’un système extrabudgétaire. Pas sûr que l’épisode arrange la crédibilité du RN sur le budget.