Par
Antoine Blanchet
Publié le
30 nov. 2025 à 8h00
La pièce est vide de tout superflu. Dans son bureau immaculé situé au cœur du 36, rue du Bastion, dans le 17ᵉ arrondissement de Paris, Christophe Molmy nous reçoit avec un sourire fatigué et ce regard qui en a trop vu. Il faut dire que l’actuel patron de la brigade de protection des mineurs a eu une semaine chargée. Il y a eu les 10 ans des attentats du 13 novembre, au cours desquels l’ancien patron de la BRI a commandé l’assaut décisif dans le couloir tortueux du Bataclan. Il y a aussi eu le prix littéraire du Quai des Orfèvres, qui a vu l’écrivain de romans noirs récompensé le 4 novembre dernier pour son cinquième ouvrage « Brûlez-Tout », édité chez Fayard. Pour actu Paris, on vous raconte cette brillante carrière double-face, entre filatures et écriture.
Une enfance entre Maigret et Broussard
Christophe Molmy, âgé de 56 ans, n’est pas né avec un Sig Sauer à la ceinture ni un képi sur la tête, mais la vocation de flic est apparue très tôt. Il y a le classique jeu du gendarme et du voleur dans la cour de récréation, mais aussi les polars que son père dévore. « Tout a commencé par les livres, comme une boucle », sourit le policier devenu auteur. Dans la bibliothèque familiale, Georges Simenon et son incontournable commissaire Maigret, mais aussi Roger Borniche. Un agent d’élite de l’après-guerre devenu écrivain à succès. La route semble tracée.
Les cadors du 36 de l’époque font aussi forte impression au gamin de Seine-Saint-Denis. Tel Robert Broussard, qui donne l’ordre d’envoyer Jacques Mesrine ad patres en 1979, porte de Clignancourt. « C’étaient des icônes qui vendaient la boîte », se remémore le policier-écrivain.
Biberonné à la poudre et aux écussons, Christophe Molmy intègre très vite la « maison ». « J’ai eu un parcours classique. J’ai fait des études de droit à dessein pour être commissaire de police. » Les premières classes se font à Villejuif. « Une bonne école », résume-t-il. Mais les petits truands du Val-de-Marne ne suffisent pas. L’agent cherche de plus gros poissons à mettre dans le bocal judiciaire. Pour ça, il faut se rapprocher de la mer. Cap sur Marseille.
La traque des « beaux mecs »
Au sein de l’antigang de la cité phocéenne, le futur patron de la BRI connaît ses « premiers émois ». « En premier dossier, j’ai commencé avec les anciens de la French Connection qui venaient de sortir de prison. À 25 ans, se retrouver à quelques mètres du chimiste de trafic d’héroïne, ça fait quelque chose », se rappelle-t-il.
S’ensuivent des années à traquer les « beaux mecs », au bord de la Méditerranée, puis au sein de l’Office central contre la répression du banditisme. Du braqueur de convoyeurs de fonds Antonio Ferrara aux terroristes basques de l’ETA en passant par les corses de la Brise de Mer, Christophe Molmy remplit son herbier des grands voyous.
Ces rencontres avec la pègre vont nourrir l’imaginaire de l’écrivain. « Je veux toujours montrer une absence de manichéisme. Des malfrats, je n’en ai pas vu beaucoup qui n’ont plus rien d’humain. Certains sont des tueurs, mais ça ne les empêche pas d’aimer leur femme et leurs enfants », affirme l’ancien patron de la BRI. Si sa route a croisé des « drôles » et des « brillants », il n’a toutefois jamais éprouvé la moindre admiration pour les truands.
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Une porte entrouverte
Au cours de ces années de service, le cliquetis du stylo à billes remplace parfois celui de la pétoire. « J’ai commencé à écrire un premier livre par jeu. Souvent, je lisais des romans et j’avais l’impression que ce n’était pas proche de la réalité », précise Christophe Molmy. Un exercice laborieux. Si faire parler un porte-flingue ou coincer un braqueur est tout un art, camper un personnage et dépeindre un décor convaincant l’est aussi. « En revanche, je n’ai pas eu besoin de faire des recherches sur la police », nuance-t-il.
Par la force des choses, un premier roman est écrit. Une sombre histoire de braquage sanglant où un vieux loup de la PJ traque un voyou sur le départ. Malgré sa naissance, l’ouvrage met du temps avant de voir la lumière du jour. « Des années après, un ami me dit qu’il faut que j’écrive un truc. Il pensait à un témoignage, mais je lui ai dit que j’avais écrit un roman. Il a insisté pour le lire et l’a envoyé à une maison d’éditions sans me prévenir », sourit l’auteur malgré lui.
« Les flics ne sont pas des gens cassés »
La plume plaît et l’ouvrage paraît. « Avec le recul, je mesure la chance que j’ai eue. C’est difficile de se faire éditer. En étant honnête, si je n’avais pas été chef de la BRI, ça ne se serait peut-être pas fait. Je voulais d’ailleurs avoir un nom d’emprunt, mais ça m’a été refusé », relate le policier.
Les ventes sont prometteuses et le patron de la BPM commence peu à peu à remplir les rayons polars des librairies avec cinq romans publiés. Au fil de ses histoires, un personnage commence à devenir récurrent : Coline. Une policière chevronnée, mais pas cliché. Car ce qui tient à cœur à ce connaisseur du métier, c’est de tourner la page de l’agent torturé : « Je veux montrer de manière réaliste le travail du quotidien. J’aime ma boutique. Je ne cherche pas à l’écorner. Je veux montrer aux lecteurs que les flics ne sont pas des gens cassés, détruits, drogués. Ils sont lumineux et investis dans ce qu’ils font ».
Il l’assure par ailleurs : aucun véritable collègue ou voyou de rencontre n’apparaît dans ses récits. « Je me suis nourri de réalité, mais je n’ai jamais retranscrit d’anciennes affaires ».
Un témoin du temps qui passe
Dans son dernier ouvrage, où se mêlent complosphère et réseaux sociaux, l’écrivain aux plus de 30 ans d’uniforme développe en trame de fonds les défis technologiques auxquels font face les policiers. « Je viens d’une génération qui a connu des changements brutaux. Quand j’ai commencé, il n’y avait pas de portables, pas d’internet. Les jeunes collègues me regardent avec des yeux ronds quand je leur dis ça », s’amuse Christophe Molmy. Nul défaitisme cependant pour ce briscard de l’investigation. Du gang des tractions avant à la téléphonie, les limiers du 36 ont toujours su prendre à temps la locomotive du progrès.
Flic d’abord, écrivain ensuite
Depuis le 4 novembre 2025, une nouvelle boucle est bouclée pour l’écrivain. Avec son dernier roman, Christophe Molmy est le 80ᵉ auteur à remporter le prix du Quai des Orfèvres. Cette distinction, décernée entre autres par le patron de la PJ parisienne, récompense un polar anonyme. Pour son écriture, mais aussi son réalisme. « C’est le graal quand on est flic. Ça récompense la qualité du boulot », s’enthousiasme le lauréat. Malgré cette reconnaissance, le commissaire garde son cap fixé depuis l’enfance. « Je suis flic surtout. Le travail d’abord. L’auteur vient après », lance-t-il en guise de maxime.
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