Elle est celle qui peut sauver Donald Trump. En tant que procureure générale des États-Unis (ministre de la Justice), Pam Bondi a jusqu’au 19 décembre pour rendre publique l’intégralité du dossier de l’affaire Epstein. Une mission qui s’annonce très compliquée. La loi signée – à contrecœur et en catimini – par le président, le 19 novembre, exige la divulgation de tous les documents : registres de vol, témoignages, accords d’immunité, e-mails privés, etc. Mais elle autorise aussi le département de la Justice à les expurger de certaines informations sensibles. Lesquelles ? Ce n’est pas très clair. C’est à Pam Bondi de décider. Il lui suffit par exemple de décréter que tel élément est nuisible à des investigations en cours ou à la sécurité nationale du pays… Ce qui provoque, évidemment, une vive inquiétude chez les victimes du prédateur sexuel et chez tous ceux qui réclament la transparence sur cette affaire.
Donald Trump, qui fait tout pour enterrer le dossier depuis qu’il est président, sait qu’il peut compter sur Pam Bondi. Il la connaît depuis 2006. À l’époque, elle est simple procureure d’un comté de Floride, où elle est née. Elle écume les prétoires et gagne un surnom : Paminator. Sa blondeur et son joli visage font d’elle une bonne cliente pour les chaînes de télé à la recherche d’analystes juridiques capables de commenter les grandes affaires criminelles. À 30 ans à peine, elle devient une petite célébrité locale. Trump la remarque un jour où elle le défend – déjà – sur un dossier qui fait alors jaser en Floride : son conflit avec la mairie de Palm Beach à propos d’un immense drapeau planté sur la pelouse de Mar-a-Lago, non conforme aux normes locales. Le milliardaire, qui ne pense pas encore à la politique, l’appelle pour la remercier. Elle se sent flattée. Le début d’une longue amitié.
Aux ordres. Ancienne avocate, Pam Bondi avait déjà contribué à sauver la mise au président lors de ses procès en destitution en 2020 et 2021. Le 7 octobre, au Sénat.
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Élue en 2010 procureure générale de l’État de Floride, Pam Bondi est la première figure du Parti républicain à soutenir Donald Trump en 2016, quand personne ne l’imagine entrer à la Maison-Blanche. Fin 2024, il lui renvoie l’ascenseur en la nommant au sommet de la hiérarchie judiciaire. à dessein. De retour au pouvoir, il veut se venger des magistrats qui, en 2024, l’ont condamné et ont failli l’envoyer en prison. Il a besoin d’un bon soldat qui exécutera ses ordres. Pam Bondi correspond à ce profil. Dès son arrivée, elle purge le département de la Justice, institution truffée de dangereux gauchistes, selon le président. Elle décroche elle-même les portraits de Joe Biden et de Kamala Harris dans le bureau d’un fonctionnaire qui a « oublié » de le faire, ce qui, pour elle, est une preuve accablante de désobéissance passive au nouveau maître de la Maison-Blanche. Elle limoge brutalement de nombreux magistrats, souvent sans motif. Elle lance des enquêtes contre ceux que Trump considère comme des ennemis.
Bombe à retardement. L’administration Trump est aux petits soins pour Ghislaine Maxwell, ex-compagne d’Epstein qui purge une peine de vingt ans de détention. À la prison fédérale de Bryan, Texas, le 20 septembre.
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Sur l’affaire Epstein, elle suit aveuglément les ordres de son patron. Pendant sa campagne, Trump a promis toute la lumière sur cette affaire, alimentant les théories du complot les plus folles, pour le plus grand plaisir de ses électeurs. En février dernier, Pam Bondi annonce donc crânement que la « liste des clients d’Epstein est sur [son] bureau » et que des têtes vont bientôt rouler. Pourtant, les semaines passent et rien ne vient. Donald Trump a changé d’avis. Pourquoi ? Nul ne le sait encore. Mais le 7 juillet, le département de la Justice déclare finalement qu’aucune liste des clients n’a été retrouvée. Fureur dans le camp Maga, qui exige la démission de la ministre. Elle encaisse. Donald Trump la soutient via son bras droit, sa « chief of staff », Susie Wiles, une amie de Floride, qui affirme que « parce qu’elle ressemble à Barbie » et « qu’elle est blonde et belle, on la sous-estime ». À tort, selon Wiles, car « elle a des nerfs d’acier ». Jusqu’à maintenant, Pam Bondi n’a pas flanché. Si Trump arrive à faire oublier cette affaire Epstein qui semble tant l’embarrasser, ce sera grâce à elle.
Une amitié embarrassante
Et peut-être, aussi, grâce à Ghislaine Maxwell. Qui n’a jamais parlé. Pendant son procès de 2022, elle s’est toujours présentée en bouc émissaire du monstre Epstein. Selon sa défense, elle porterait le chapeau pour lui : comme il est mort, on la désignerait coupable, à tort. L’argument n’a pas convaincu le jury, qui l’a condamnée à vingt ans de prison. Les échanges d’e-mails, récemment diffusés, entre elle et Epstein montrent qu’elle en sait beaucoup plus que ce qu’elle a bien voulu dire jusqu’à présent. Maxwell est l’ultime témoin clé de l’affaire Epstein. Elle ne pouvait pas ignorer les relations entre ce dernier et Trump. Elle peut tout confirmer, ou tout infirmer. « Je l’ai entendue dire à une détenue qu’elle avait des informations compromettantes sur Trump », a récemment affirmé au « Daily Mail » Kathryn Comolli, qui fut incarcérée dans une cellule proche de la sienne à la prison de Tallahassee, en Floride. C’était avant l’élection de novembre 2024. À l’époque, Maxwell espérait obtenir une grâce présidentielle de Joe Biden.
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Jeffrey Epstein et Ghislaine Maxwell reçus à Mar-a-Lago, la propriété en Floride de Donald Trump, ici avec sa compagne, Melania, le 12 février 2000.
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Donald Trump semble garder une certaine affection pour elle. « Je lui souhaite bonne chance », a-t-il lâché le lendemain de son arrestation, le 2 juillet 2020. Il la connaît « depuis la fin des années 1980 », a confié au « Washington Post » Steven Hoffenberg, un ancien associé de Jeffrey Epstein, qui a bien connu Trump. Le président américain l’a rencontrée via son père, Robert Maxwell, le magnat des médias britanniques, qu’il admirait. Quand ce dernier meurt dans des circonstances suspectes à bord de son yacht, en 1991, Trump organise une cérémonie d’adieu en son honneur au Plaza Hotel, le grand établissement sur la 5e Avenue qu’il possède alors. Une photo prise à ce moment-là immortalise pour la première fois Ghislaine en grande discussion avec Jeffrey Epstein, tout sourire. Selon Steven Hoffenberg, Trump « était dingue de Ghislaine, une fille vraiment charmante ». Quand, en janvier 2003, elle lui demande d’écrire un texte pour le 50e anniversaire d’Epstein, il s’exécute bien volontiers, selon le « Wall Street Journal » (ce que Trump conteste). Il envoie un croquis représentant une femme nue, accompagné d’une légende explicite : « Que chaque jour soit un autre merveilleux secret. »
Depuis que Donald Trump est revenu au pouvoir, la vie s’est sensiblement améliorée pour Ghislaine Maxwell. Fin juillet, Todd Blanche, l’ancien avocat du président (pendant le procès Stormy Daniels), procureur général adjoint de Pam Bondi depuis mars 2025, vient la voir en prison et lui demande de livrer ses secrets. Il passe neuf heures avec elle. Que le numéro deux du département de la Justice se déplace en personne pour réinterroger une détenue condamnée en bonne et due forme pour trafic sexuel de mineures, c’est une première. « Je n’ai jamais vu Donald faire quoi que ce soit d’inapproprié », lui déclare-t-elle alors. Voilà Trump exonéré.
«Trump avait raison sur tout », clamait Marjorie Taylor Greene, comme ici le 4 mars à Washington. Depuis, l’élue a retourné sa veste… et sa casquette.
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Quelques jours plus tard, Ghislaine est transférée dans une prison pour femmes beaucoup plus clémente, au Texas. Là, elle bénéficie d’un traitement de faveur qui rend jalouses les autres détenues. « J’ai l’impression d’être tombée dans le miroir d’“Alice au pays des merveilles” », confie-t-elle alors à ses proches, ravie, dans l’un des e-mails récemment révélés par la chaîne NBC News. Végétarienne, elle a droit à des repas sur mesure. Et on lui donne du papier toilette à volonté, alors qu’il est rationné pour les autres. Elle a aussi un accès privilégié à la salle de gym du pénitencier et a la possibilité de jouer avec un chiot. Ghislaine Maxwell rend hommage à Tanisha Hall, la directrice de la prison, « une vraie professionnelle ». Cette dernière autoriserait les invités de la détenue à venir avec des ordinateurs, ce qui est en principe interdit, et même qu’on leur serve des rafraîchissements et des snacks, selon le député Jamie Raskin, membre de la commission de surveillance qui supervise l’affaire Epstein à la Chambre des représentants.
Ghislaine Maxwell pourrait monnayer ce qu’elle sait sur Bill Clinton et d’autres démocrates
Pourquoi tant d’égards ? Ghislaine Maxwell en demande pourtant encore plus. Elle s’apprête à déposer formellement une demande de grâce présidentielle. Celle-ci arrivera donc bientôt sur le bureau de Donald Trump. Pour l’instant, il a toujours pris soin de ne pas exclure cette éventualité, ce qui fait hurler le camp Maga – et les victimes d’Epstein. Aujourd’hui, la pression est telle qu’on voit mal le président prendre le risque de gracier son ancienne amie. Mais en 2028, avant de quitter la Maison-Blanche, qui sait ? Ghislaine Maxwell pourrait monnayer ce qu’elle sait sur Bill Clinton et d’autres démocrates cités dans le dossier Epstein, en l’échange d’une promesse…
Tout va dépendre de la troisième femme qui tient dans ses mains le destin de Donald Trump : la congresswoman Marjorie Taylor Greene. Personne ne s’attendait à ce qu’elle monte au créneau avec autant de pugnacité pour défendre les victimes de l’affaire Epstein. Il suffit de passer devant son bureau au deuxième étage du Rayburn House Office Building, à Capitol Hill, à Washington, pour comprendre que cette élue haute en couleur a longtemps été le pitbull de Trump. À droite de la porte d’entrée, un grand écriteau clame : « Il y a DEUX genres : masculin & féminin. Faites confiance à la science », un message envoyé à ce qu’elle appelle la « propagande woke ». À gauche, une photo noir et blanc de Charlie Kirk (1993-2025), l’activiste ultraconservateur assassiné en septembre dernier. À l’intérieur, au-dessus du bureau de la secrétaire, la photo de Trump le poing levé, la joue ensanglantée, après sa tentative d’assassinat en juillet 2024.
« Je lui retire mon soutien » Marjorie Taylor Greene lâche Trump
Mais cette pasionaria, élue en Georgie en 2020 avec le soutien enthousiaste du président, se retourne désormais contre lui. Et fait de la défense des victimes de Jeffrey Epstein une affaire personnelle, bravant les consignes de la Maison-Blanche d’étouffer le scandale. Elle a bombardé de textos Donald Trump, qui a fini par l’excommunier : « Je lui retire mon soutien », a-t-il annoncé le 14 novembre avant de la qualifier de tous les noms (« folle », « traîtresse ») et de l’appeler Marjorie Taylor « Brown » (« brun » en français), et non « Greene » ( « vert » )… car « l’herbe verte devient brune lorsqu’elle commence à pourrir », explique-t-il élégamment sur sa plateforme Truth Social. Le soir du 21 novembre, deux jours après s’être affichée avec les victimes d’Epstein pour réclamer la publication du dossier, « MTG », comme on l’appelle, annonce sa démission de son poste de députée, à compter du 5 janvier prochain.
Dans une vidéo de près de onze minutes, elle déclare : « Je refuse d’être une “femme battue” qui espère que tout cela disparaisse et s’améliore. » « Excellente nouvelle pour le pays », réagit Trump, avant de se raviser le lendemain par un coup de fil à un journaliste de la chaîne NBC. Il semble alors soudainement s’inquiéter pour elle. « Cela ne va pas être facile » de relancer sa carrière politique, « ce qui serait pourtant une bonne chose », confie-t-il, avant de lui conseiller de « se reposer ». Tente-t-il une réconciliation ? « Celle-là, je ne voudrais jamais, au grand jamais, l’avoir comme ennemie », plaisantait-il en 2020 lors d’un meeting avec elle en Géorgie. Il le sait : MTG est une coriace. Il aura plus de chance de la contrôler si elle reste dans son giron que si elle en sort.