« J’ai toujours regretté d’avoir abandonné ma thèse », sourit le désormais nonagénaire. Le regard rieur, le verbe facile, il reçoit à son domicile, un ancien chai réaménagé. Jean-Marie Goizet, pur Lussacais, a repris jeune homme la charge de son père, « celle de son père avant lui ». Retraité à 60 ans, au mitan des années 1990, Il s’est ensuite consacré aux vignes familiales. « Mais c’est terminé, même si j’habite toujours sur place, tout a été vendu après la mort de ma mère. » Reprendre une carte d’étudiant s’est imposé. Mais là où certains se font plaisir à découvrir une nouvelle discipline, lui a choisi de reprendre ses travaux dans une spécialité pour le moins pointue. « Je ne pouvais pas avoir fait tout ça pour rien. Il fallait que je m’y remette… »

Sentiment d’inachevé

Son sujet de thèse originel ? « Le verre, matériau moderne de construction, et les servitudes du Code civil ». « J’étais déjà clerc de notaire, raconte le titulaire d’un diplôme d’études supérieures en droit privé. Lorsque j’ai fait lire mon travail à mon directeur de thèse, il y a vu une première partie, à compléter par une approche sur la responsabilité des constructeurs. Je ne pouvais le faire en plus de mon travail… »

Jean-Marie Plazy connaît bien ce sentiment. « Il y a toujours ce sentiment d’inachevé chez les étudiants contraints d’abandonner en route », décrypte ce professeur de droit privé à la Faculté de droit et de sciences politiques de l’Université de Bordeaux. Il ne cache cependant pas avoir été surpris de voir débouler cet étudiant atypique. « Nous avons discuté du sujet qui était ancien. Et de ce qu’on attendait aujourd’hui d’une thèse. Son travail de l’époque ne correspondait pas aux canons actuels. Mais cela ne lui a pas fait peur. »

Remise à jour

Jean-Marie Goizet confesse malgré tout qu’il n’avait pas imaginé y consacrer autant de temps. Six ans à vivre sa thèse, à y penser tous les jours, à effectuer d’innombrables recherches, à remettre en question ce qu’il pensait connaître… « J’ai dû travailler le droit de l’urbanisme, celui de la construction. Et le droit de l’environnement, qui n’existait pas à l’époque, qui s’impose partout aujourd’hui. Il y a tout ce qui relève de la jurisprudence. Il faut également documenter tout ce qui a été écrit sur la question… »

Six ans, malgré tout, c’est long, très long. Il confesse avoir connu des moments d’abattement. « Il a expérimenté le doute, le stress des délais, et même celui des plantages informatiques », en sourit aujourd’hui son fils Cyril, professeur de médecine à Bordeaux, qui a gardé un œil sur l’état de santé de son père. « Il a pris de plein fouet la période Covid. Il a dû également rattraper son retard dans le domaine du numérique. Et il y a tant de choses qu’il a dû étudier dont on ne se souciait pas à l’époque. » Une expérience formidable, estime-t-il, même s’il reconnaît qu’il était bizarre de voir son père envahir de documents la table familiale durant les vacances.

Le nouveau docteur

Jean-Marie Goizet a tenu bon. « Cela a duré plus longtemps qu’une thèse classique », confirme Jean-Marie Plazy, qui reconnaît avoir parfois donné priorité à ses thésards plus jeunes, « pour qui la carrière est à venir ». « Mais il est allé au bout. Il mérite pleinement de porter son titre de docteur en droit. » Un titre qu’il a gagné au terme d’une soutenance, son travail devenu « Le verre, matériau de construction et le droit », devant un jury nécessairement pointilleux.