Flash-back. Juin 1966. C’est la folie sur la place centrale de Jemappes. Des milliers de personnes se pressent pour fêter comme il se doit l’enfant de la commune. C’est ici qu’Adamo a gagné le concours de chant qui allait bouleverser son destin. Il se souvient : « Mon père était un grand amateur d’opéra et de belles voix. Moi, lorsque j’ai commencé à chanter à 12 ans, je n’avais pas la voix d’un ténor. J’avais gagné un concours sur la place de Jemappes et remporté deux kilos de chocolat en interprétant « L’amour est un bouquet de violettes » de Luis Mariano, mais mon père n’était pas d’accord que je fasse ce métier. À son insu, j’ai continué à participer à des compétitions de quartier à Mons, à Jemappes et dans d’autres villes. Jusqu’au jour où je me suis présenté à un radio-crochet. Comme je l’avais gagné, je savais que je passerais sur antenne. C’était ce fameux 14 février 1960. Je lui ai dit : « Papa, ce soir, si tu veux, on écoute la radio. » Lorsque je suis passé entre Luis Mariano et Édith Piaf, des chanteurs à voix, et que c’est moi qui ai gagné avec ma petite voix, je crois que cela l’a définitivement convaincu et surtout ému. »
Jemappes, juin 1966 – Adamo citoyen d’honneur de la ville de Jemappes ©Photo news
Son papa est devenu et est resté son manager pendant trois ans. Il a vécu les premières années de succès. Sans doute les plus belles, car pleines d’insouciance et d’amour. Qui ne rêverait de découvrir la gloire main dans la main avec son père ? « Sans toi ma mie » a ouvert la voie. Et les succès se sont enchaînés : « Tombe la neige », « Vous permettez, Monsieur ? », « Dolce Paola » (en référence à Paola, à l’époque princesse de Liège), « Les Filles du bord de mer », « Mes mains sur tes hanches »… Sans compter « Inch’Allah », toujours d’actualité. Et sans oublier « C’est ma vie », un premier bilan prenant. Aujourd’hui, ses nouvelles chansons, ciselées comme des poèmes, se nomment « Ma belle jeunesse », « Avant qu’il ne soit trop tard », « Des nèfles et des groseilles », « Migrant », « Qu’ai-je donc fait de mon enfance ? ». Elles sont le testament d’une vie, qu’il a écrit durant des mois de combat contre la maladie, sachant qu’il risquait de ne jamais plus pouvoir chanter, qu’il pouvait perdre cette vie qui lui avait tant apporté. Elles sont le reflet puissant de ce que cet enfant d’immigrés italien a vécu, appris, réussi à transmettre. Ce double album, en vérité, résume bien ce qu’il est : un être humain qui a des choses à dire avant d’être un faiseur de tubes. « Mon vécu, mes émotions ont modelé l’homme que je suis », dit-il. « Je n’ai jamais rien oublié. Dans les baraquements où nous vivions avec d’autres ouvriers mineurs et d’autres enfants, ceux-ci m’ont appris le sens de la solidarité, du respect et de la dignité de l’autre. On habitait juste à côté de la mine. Seul un muret séparait son territoire de celui de la cité. Il y avait aussi une sirène dont tout le monde avait peur, parce qu’elle annonçait le malheur. Et on ne savait jamais sur qui c’était tombé. Ma mère faisait la lessive pour une douzaine d’ouvriers mineurs. Parmi eux, un Algérien qui s’appelait Barak. Un jour, on est venu l’emmener : il n’avait pas son permis de séjour. Des policiers lui ont mis les menottes aux mains. Tous les gens de la cité étaient devant leur porte. À le plaindre. On ne l’a plus jamais revu. Il a été renvoyé au pays. Voilà ce qui m’a marqué pour toujours. »
Ses nouvelles chansons sont le testament d’une vie, écrit durant des mois de combat contre la maladie, sachant qu’il risquait de ne jamais plus pouvoir chanter
Ses parents sont quotidiennement en filigrane de son existence. À 82 ans, Salvatore Adamo aime à regarder derrière lui, car les siens demeurent les socles d’une vie dont il a toujours voulu transmettre les leçons. « Je pense à ces moments de bonheur que j’ai vécus, inconscient de la difficulté dans laquelle mes parents se trouvaient. Déracinés, venant d’un pays du soleil, arrivant en plein hiver dans les brumes du Nord. Grâce à leur affection et leur amour, je ne me suis jamais rendu compte de la difficulté dans laquelle nous vivions. Ça, c’est au fond de moi. Et eux sont toujours présents en moi. Je regarde leurs photos tous les matins. Et tous les soirs. C’est une espèce d’habitude que j’ai prise. » Il se souvient aussi de ce document bouleversant réalisé par Hadja Lahbib et Jean-Marc Panis pour la RTBF. » Très honnêtement, c’est un exercice difficile de revoir ces visages animés. En pleine vie. Il faut garder sa contenance. Il faut retenir son souffle pour ne pas craquer. Cela a été plusieurs fois le cas lors de la projection des documents. Parfois même, interrompre la caméra pour se cacher un peu. Revoir mes frères et sœurs, petits, en plein bonheur, encore en pleine euphorie, mes parents, des amis, il faut se serrer les poings pour ne pas craquer. »
Quelques trésors photographiques de l’exposition : Salvatore Adamo en communiant le 27 mars 1955 ; en 1960-61, lors du crochet Luxembourg au Théâtre royal de Mons ; citoyen d’honneur de Jemappes en juin 1966 ; au parc de Jemappes, dans l’insouciance de sa jeunesse. ©Eddy Despretz
Aujourd’hui, l’exposition de sa vie a comme gravé dans la pierre les valeurs de celle-ci. Et ses nouvelles chansons les enveloppent d’une nostalgie délicate et légère. C’est tout Salvatore, ça : se souvenir pour dire merci. Et ce qui suit n’est pas qu’une image : deux mois après la folie de la place de Jemappes en 1966, son papa décédait accidentellement. Mais Antonio n’a jamais quitté le cœur de son fils. Il y vit encore.
Quelques trésors photographiques de l’exposition : Salvatore Adamo en communiant le 27 mars 1955 ; en 1960-61, lors du crochet Luxembourg au Théâtre royal de Mons ; citoyen d’honneur de Jemappes en juin 1966 ; au parc de Jemappes, dans l’insouciance de sa jeunesse. ©D.R.