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Sur le pavé glacé de la rue Bankova, à Kiev, Volodymyr Zelensky a annoncé la démission d’Andriy Yermak, son bras droit, emporté par l’affaire Midas, un scandale de corruption énergétique à 100 millions de dollars qui menace la crédibilité du pouvoir. Portrait d’un homme qui a régné dans l’ombre avant de tomber en pleine lumière.

Au matin du 28 novembre, les enquêteurs ukrainiens anticorruption frappent à la porte d’Andriy Yermak. Le NABU, le Bureau national anticorruption d’Ukraine, et le parquet spécialisé perquisitionnent le domicile du chef de cabinet de Volodymyr Zelensky, dans le cadre de l’enquête « Midas » sur un détournement d’au moins 100 millions de dollars dans le secteur nucléaire public.

Quelques heures plus tard, sur la rue Bankova de Kiev, le président annonce que son plus proche conseiller a présenté sa démission. Il le remercie pour le « positionnement patriotique qu’il a porté comme il fallait » dans les négociations internationales, mais explique vouloir « éviter les rumeurs et les spéculations ». Un sondage montrait déjà que 70 % des Ukrainiens souhaitaient son départ.

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La justice ne l’a pas inculpé, mais les soupçons sont lourds. Les écoutes recueillies pendant quinze mois par le NABU font, selon plusieurs sources, apparaître son nom, voire sa voix. L’opposition l’accuse d’avoir tenté de freiner les enquêteurs, tandis que les ONG jugent inconcevable qu’il ait pu ignorer un tel système. « Il est tellement influent et tellement impliqué dans de nombreux dossiers qu’il est impossible qu’un système de cette ampleur fonctionne sans ses connaissances », estime auprès de L’Express Daria Kaleniuk, directrice de l’ONG Anti-Corruption Action Center.

De la production au pouvoir

La chute est aussi spectaculaire que l’ascension fut rapide. Fils de diplomate, avocat spécialisé en propriété intellectuelle puis producteur, Andriy Yermak entre au début des années 2010 dans l’orbite de Zelensky via le studio Kvartal 95. Quand l’acteur remporte la présidentielle de 2019, il devient l’homme de confiance qui règle les dossiers sensibles en coulisses.

\ud83d\udd34 Ukraine : « Yermak était un ami intime de Zelensky, présent depuis l’époque de Serviteur du Peuple. Mais malgré ce départ, Zelensky reste d’une résilience exceptionnelle après trois ans d’épreuves inédites », souligne Nicolas Tenzer. #canal16 pic.twitter.com/JZJ3q997nS

— franceinfo (@franceinfo) November 28, 2025

Nommé conseiller en politique étrangère, il négocie des échanges de prisonniers avec la Russie et supervise les relations avec les États-Unis. En février 2020, Zelensky le promeut chef de cabinet. La guerre déclenchée à grande échelle par Moscou en 2022 achève de faire de ce juriste discret la figure la plus puissante du pays après le président. Diplomates et élus le décrivent comme un véritable « Premier ministre », présidant des réunions au niveau ministériel et filtrant les nominations clés.

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Cette centralisation nourrit très tôt les critiques. Surnommé « l’autre président du pays », Yermak est accusé d’étouffer les contre-pouvoirs et de couvrir les dérives de ses proches. Plusieurs de ses adjoints ont été visés par des enquêtes pour corruption ou enrichissement illicite, alimentant l’idée d’un cercle restreint prospérant à l’ombre de la présidence.

Zone de turbulences

L’affaire Midas transforme cette image de stratège indispensable en symbole d’un système opaque. Le réseau présumé, lié à l’affairiste Timur Mindich, ancien partenaire de Zelensky dans l’audiovisuel, touche le secteur énergétique, vital en temps de guerre. Chaque dollar disparu est perçu comme un blindage en moins contre les missiles russes, un réseau électrique moins résilient.

Politiquement, le départ de Yermak ouvre une zone de turbulences. À Kiev, la scène intérieure s’annonce plus conflictuelle. Pour une partie de la société civile, cette rupture était pourtant devenue indispensable pour restaurer la confiance des citoyens et des partenaires étrangers.

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Yermak assure qu’il coopère pleinement avec la justice et continue d’affirmer sa loyauté à Zelensky. Son avenir se jouera désormais devant les juges autant que dans l’opinion. Mais la démission du « numéro deux » rappelle surtout qu’en Ukraine, la guerre contre la corruption est devenue indissociable de celle menée contre l’agression russe.