Par
Lily Dedeye
Publié le
1 déc. 2025 à 18h08
Flora et Léana ont un poste méconnu : elles sont psychologues de rue. Elles n’exercent donc pas en libéral derrière un bureau, mais sont employées par l’association de prévention spécialisée Rebond 3A et interviennent principalement dans les quartiers prioritaires en périphérie de Rouen. « Il y a des problématiques et des difficultés familiales dans ces quartiers. On essaie d’arriver avant que tout cela ne vienne poser des problèmes du côté de la violence », dit Léana.
Pourquoi des psychologues de rue ?
L’association Rebond 3A est née il y a trois ans. « À l’origine, nous étions trois petites structures indépendantes de prévention spécialisée : l’Aspic à Saint-Étienne-du-Rouvray, l’Afpac à Canteleu, et l’Aper à Darnetal. Nous travaillions sur le terrain, par le biais d’éducateurs de rue. Et nous nous sommes rapidement rendus compte que la santé mentale des jeunes était laissée de côté. Alors on a décidé de fusionner pour avoir les fonds pour financer la création d’un poste de psychologue, raconte Agnès Desanges, la présidente. C’est comme cela que Rebond 3A est née. »
En 2022, un poste de psychologue de rue est ouvert et Claire Haem est la première recrutée. « L’idée est venue d’une conférence à laquelle on a assisté. Une association en Corse avait créé ce poste de psychologue de rue pour faciliter l’accès aux jeunes à un accompagnement psychologique. On a décidé de faire la même chose », poursuit Agnès Desanges.
Claire reste deux ans puis c’est Flora qui reprend le flambeau en septembre 2024. « À la base j’avais un temps plein, je m’occupais des trois secteurs Saint-Étienne-du-Rouvray, Darnétal et Canteleu mais c’était trop de charge mentale. » Pour faciliter le quotidien de la psychologue, Rebond 3A décide de séparer le poste en deux et Flora est recrutée en soutien en septembre 2025. « Aujourd’hui on se partage le poste, raconte Flora. Je suis à 60% sur Darnétal et Saint-Étienne-du-Rouvray et Léana à 30% sur Canteleu. »
Un métier de terrain
Le métier de psychologue de rue est bien différent du psychologue en libéral. Quotidiennement, les deux collègues se déplacent sur le terrain et vont rencontrer les jeunes. « Cela nous arrive d’exercer au cabinet mais généralement on est sur le terrain. On va au contact des jeunes et on essaie de repérer ceux qui pourraient être dans des situations difficiles », décrit Léana. « On s’appuie également beaucoup sur nos collègues éducateurs », complète Flora. « Ils travaillent beaucoup avec les jeunes, dans les écoles, ce sont parfois eux qui nous donnent l’alerte. »
On est là en soutien, le suivi psychologique repose sur de la libre adhésion. S’ils ne veulent pas de notre aide on n’a pas le droit de les obliger.
Léana Durand
Psychologue de rue
Un long travail pour gagner la confiance
Ensuite c’est un long travail qui commence car la confiance des jeunes n’est pas facile à gagner. « Quand on arrive et qu’on se présente en tant que psy souvent ils nous rejettent. Ils nous disent des qu’ils ne sont pas fous, qu’ils n’ont pas besoin de nous. Et c’est là que tout le travail invisible commence. On va venir plusieurs fois, prendre le bus avec eux, jouer au ping pong pour créer du lien », relate Léana. « On va passer des moments informels pour que naisse une confiance entre nous. C’est un travail qui se fait dans tous les espaces, sans même que le jeune ne s’en rende compte », poursuit Flora.
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Après des dizaines de trajets de bus et des heures de parties de ping pong, le travail porte ses fruits et certains jeunes commencent à se confier. « Parfois on est dans le bus, et ils commencent à nous raconter des choses. On discute et finalement ils se rendent compte que ça leur fait du bien et que ce n’est pas si terrible une psy », se réjouit Léana. « En général, ils préfèrent quand c’est plus informel, ça fait moins peur que d’être face à face derrière un bureau. Et ce sont des jeunes qui n’ont pas forcément appris à parler et se confier. Ils ont besoin de temps, il est important de respecter ce temps. »
Ils ne savent pas parler d’eux. Mais parler de soi c’est très important pour aller mieux. Mettre des mots pour débloquer des choses.
Leana Durand
Psychologue de rue
Une population vulnérable
Une fois la glace brisée, les psychologues peuvent entamer un suivi ou proposer un relai chez le psychiatre si jamais les problématiques sont trop lourdes. « Ce sont des populations vulnérables, qui vivent des drames. Tous les ans on a des cas d’accidents de la route, des fusillades qui impactent la vie de quartier et le quotidien. C’est pour cette raison que l’accompagnement psychologique est important. »
« Souvent il y a du décrochage scolaire suite à ces drames. Et il n’y a personne pour encourager le jeune. La prévention spécialisée sert aussi à cela. Leur rappeler qu’ils ont de la valeur et qu’ils peuvent y arriver », insiste Léana.
On ne vit pas la même vie. On demande à ces jeunes de suivre à l’école et d’avoir un projet professionnel. Mais comment peux-tu être sage quand tu ne sais pas ce que tu mangeras ce soir parce que ta mère n’a pas les moyens de payer le loyer ?
Léana Durand
Psychologue de rue
Un travail qui porte ses fruits
Même si les résultats de leur travail n’est pas toujours visible, Léana, Flora et Agnès sont persuadées de leur impact positif sur les jeunes. « On fait de la prévention donc on n’a pas de preuves, de résultats concrets. Mais on sait qu’on est utiles. Grâce à notre suivi, de nombreux jeunes ont évité la délinquance et la prison par exemple », assure Léana. « Il y en a qu’on suit un certain temps puis on les revoit plus. Et plusieurs années après quand on les revoit, ils nous disent qu’ils se sont calmés et ça nous fait plaisir », relève Flora
On est là pour rappeler à la société que lorsqu’il y a de la violence, du deal, en général ce n’est pas de la méchanceté, c’est de la souffrance.
Léana Durand
Psychologue de rue
Pour agir de façon encore plus ciblée, l’association aimerait embaucher des psychologues à temps plein sur chaque secteur mais les financements ne sont pour le moment pas au rendez-vous.
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