Derrière un portail en fer, un chien somnole sous le soleil printanier. Tout autour, un vaste décor champêtre où s’épanouissent – dans des bacs garnis de paille – févettes, betteraves, poireaux, bourrache et artichauts… En bande-son: le caquètement des poules, le criaillement des oies et le concerto des oiseaux se mêlent à celui des marmots jouant dans la cour de l’école voisine ou explorant le jardin, avec leur nounou ou leur maman. Scène ordinaire de la vie de campagne… en plein cœur du quartier des Moulins. À Nice ouest, c’est là, face aux tours de cette zone prioritaire, davantage associée aux ascenseurs en panne et au trafic, que s’épanouit, depuis 2017, La Ferme Bermond. Une association iconoclaste aux actions ancrées dans la terre et l’éducation populaire. Ici, sur 6.500m², 350 adhérents apprennent à biner, planter, arroser et cueillir, à 1,50 euro le kilo, les récoltes du potager bio. Ou juste se poser et respirer un grand coup, en s’arrachant au tumulte de la ville.

Une histoire de transmission

Cette utopie, très concrète, c’est Stéphane Gastaud, prof d’arts martiaux, qui l’a construite, pierre à pierre. L’histoire d’une rencontre, d’abord. « En 2006, j’ai débarqué à moto pour visiter une salle où installer mon 3 dojo, juste à côté de ce terrain, quand j’ai entendu des ânes braire. J’ai tourné la tête et j’ai vu une chèvre… perchée dans un figuier. Je me suis dit: il se passe quoi, ici? Ça tranchait légèrement avec le coin…, se remémore-t-il. Et puis j’ai rencontré Monsieur Bermond, le Niçois qui vivait là, et on a sympathisé. Peu de temps après, il a eu un cancer. Sur son lit d’hôpital, il m’a fait promettre d’aider Malou, sa femme, à entretenir le lieu. À l’époque, il y avait 5 – 6 anciens qui venaient planter des tomates et une instit qui voulait faire une activité jardinage pour une douzaine de gosses. On s’est dit: pourquoi ne pas l’ouvrir sur le quartier? Tout part de là… »

Entrer comme dans un Moulin

Pendant la période Covid 19, la ferme se meut en havre d’évasion pour les habitants des Moulins, confinés en HLM. Stéphane glane des tourets chez EDF, installe des salons d’extérieur, bricole avec les bénévoles des pancartes: « La bonne distance entre deux personnes, c’est quatre poules ». Coup de fil sur coup de fil. Alors, quand son dojo ferme après la pandémie, le sportif décide de devenir fermier à temps plein. « Aujourd’hui, j’y passe 80 heures/semaine, 365 jours/an. Ici, c’est ouvert tous les jours sauf le dimanche. Il suffit de pousser le portail et d’entrer », lance celui qui a vu passer avant sur son tapis de profs d’arts martiaux « tous les caïds de la cité… a crée du respect… »

Un projet d’intérêt général

Au fil du temps, l’association, qui cultive sur des parcelles mi-privées (mises à disposition gracieusement), mi-publiques (louées par la mairie), s’est structurée. En plein arrachage de poireaux, Julien Gallo, habitant du coin, en fut bénévole avant d’en devenir, il y a un mois, salarié, maraîcher et animateur. « Je propose des ateliers au fil des saisons. En ce moment, c’est semis et repiquage… Pour les adhérents, les jeunes d’ici, de l’Institut médico-éducatif. On jardine, on se confie, on oublie les problèmes, le handicap… Ici, c’est un endroit anachronique comme il en faudrait dans tous les quartiers. Seule la clochette du tram me rappelle qu’on est en ville », sourit-il en amenant sa récolte vers la nouvelle cuisine de la ferme.

Une table solidaire et locale

Au fourneau, il y a Noura Agoudjil, la cinquantaine, elle aussi embauchée depuis peu après être passé par les cuisines d’un étoilé niçois. Secondée par Chantal, bénévole niçoise de 40 ans son aînée, elle a pris possession de la nouvelle cuisine, créée grâce à des fonds France Relance décrochés il y a 3 ans. « On a répondu à un appel à projet sur l’alimentation saine, locale et solidaire… et ça a marché! », se pince encore Stéphane. De ces 85.000 euros, l’asso a fait germer du sens, au service du collectif toujours.

Avec son projet « De la terre à l’assiette », elle propose désormais à ses adhérents de transformer sur place les produits de la ferme ou de bénéficier de repas, à 5 euros ou gratuit, en échange de bons et loyaux services au jardin. « Je n’en ai rien à faire d’avoir des gens qui se pointent à la saison des tomates pour remplir leur panier. Ici, on peut adhérer gratuitement en échange de temps. De là naît le lien social et intergénérationnel qui sert le projet », martèle Stéphane. Avec ces (délicieux) menus en circuit court, aussi servis sur réservation (1) aux non-adhérents, de 10 à 15 euros, le lieu engagé vise l’autonomie financière. « Pour prouver qu’une ferme urbaine, même sur la Côte, même au prix du foncier, peut perdurer. » Et faire triompher le bon sens paysan au cœur des villes.

Pour adhérer ou réserver un repas à la Ferme Bermond, rendez-vous au 4, bd. Paul Montel, à Nice ou envoyer un mail à contact@lafermebermond.com.