Le droit international des droits de l’homme (Convention de l’Organisation internationale du travail n° 132 et Pacte de l’ONU de 1966, Charte sociale européenne) et le droit de l’Union européenne (Charte des droits fondamentaux) consacrent le droit aux congés payés comme un droit fondamental de la personne du travailleur. L’adjectif « fondamental » doit être pris au sérieux dans cette formulation.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) met en œuvre cette conception dans son interprétation de la directive du 4 novembre 2003 qui « fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail ». Pour la Cour, « le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé » et « le travailleur doit normalement pouvoir bénéficier d’un repos effectif, dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé ».

Sa jurisprudence, avec plus de 30 décisions portant sur les congés payés, permet des progrès de ce droit dans les différents États membres.

Cependant, l’intégration de ces progrès dans le droit français s’avère particulièrement lente du fait de l’inaction, voire du refus, des gouvernements successifs, pour en faire bénéficier les salariés. La loi Valls-El Khomri du 8 août 2016, qui a transformé l’architecture du droit du temps de travail constitue une illustration emblématique de ce refus.

Dans ce contexte, les juridictions nationales, dans le cadre du dialogue des juges, assurent la mise en œuvre de la jurisprudence européenne.

Mauvaise transposition

Les arrêts récents fortement médiatisés s’inscrivent dans une histoire qui a commencé au début de ce siècle. Ainsi, à titre d’illustration, ce sont des arrêts européens qui sont à l’origine de modification de la législation sur de nombreux points : l’acquisition de congés sans une période minimale de travail (CJUE 26 juin 2001), le congé maternité et les congés payés se cumulant sans se confondre (CJCE 18 mars 2004), etc.

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Constatant dans certains États, dont la France, la mauvaise transposition du droit européen sur les congés payés, la Cour s’est fondée sur la Charte pour en imposer l’application (CJUE 6 novembre 2018, C-570 / 16 et C‑684 / 16). En cas d’impossibilité d’interpréter une législation nationale en conformité avec le droit européen, la juridiction nationale doit laisser la législation nationale inappliquée. La diffusion du droit européen via la jurisprudence nationale s’est alors intensifiée.

Ainsi en est-il du droit d’acquérir des congés payés pendant un arrêt de travail pour maladie. Selon la Cour de justice, la finalité du droit au congé annuel payé est, d’une part, de « permettre au travailleur de se reposer » et, d’autre part, de « disposer d’une période de détente et de loisirs ».

« La Charte des droits sociaux fondamentaux érige le droit à une période annuelle de congé payé en droit de l’homme reconnu à toute personne. »

Congés payés et arrêt maladie

Ainsi, le travailleur en sa qualité de travailleur a droit à une période de congés payés. Le droit à congés n’est pas subordonné à une prestation de travail préalable et un arrêt de travail pour maladie est sans incidence sur l’acquisition des droits à congés (arrêt rendu en grande chambre, 20 janvier 2009, C-350 / 06 et C-520 / 06).

Ce faisant la Cour pose une règle comparable à celle du Front populaire (loi du 20 juin 1936 et décret du 1 août 1936) considérant que le travailleur avait droit à la totalité de ses congés payés y compris en cas d’arrêt maladie.

En réaction à cette législation, le régime de Vichy avait subordonné le droit aux congés payés à un temps de « travail effectif » (décret du 13 avril 1940, loi du 31 juillet 1942). Cette législation a perduré jusqu’en 2024.

Pourtant, après la décision de la Cour de justice de 2009, la Cour de cassation, chaque année, à partir de 2013, demandait aux gouvernements successifs la mise en conformité du code du travail avec le droit européen. Sans succès.

Après plusieurs arrêts (Cour administrative d’appel de Versailles, du 17 juillet 2023, condamnation de la France pour non-transposition de la directive ; Cassation sociale, 13 septembre 2023, quatre arrêts), la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 prévoit la mise en conformité du droit français.

Mise en conformité partielle

Cependant, cette mise en conformité du droit national avec le droit européen demeure partielle. La discrimination persiste au regard de l’état de santé. Le salarié ayant subi un arrêt maladie ne trouvant pas (officiellement) sa cause dans sa situation de travail acquiert seulement deux jours de congés par mois, quand le salarié en arrêt de travail pour maladie professionnelle ou accident du travail ou sans arrêt acquiert deux jours et demi par mois. Des accords collectifs de branche et d’entreprise peuvent bien entendu mettre fin à cette discrimination.

La loi limite fortement les effets de la solution jurisprudentielle, notamment au regard de la rétroactivité, à la demande d’organisations patronales, ce qui a pour effet de complexifier le droit applicable en particulier en imposant des doubles compteurs de mesure du temps.

Ainsi, la jurisprudence européenne (depuis l’arrêt de 2009) et la jurisprudence nationale (depuis les arrêts de 2023) renouent avec les textes fondateurs de 1936 et la conception originelle des congés payés.

Le droit au report des jours de congés en cas de maladie pendant les congés payés est un second exemple. Selon la CJUE, « un travailleur qui est en congé de maladie durant une période de congé annuel fixée au préalable a le droit, à sa demande, et afin qu’il puisse bénéficier effectivement de son congé annuel, de prendre celui-ci à une autre époque que celle coïncidant avec la période de congé de maladie » (CJCE 10 septembre 2009, C‑277 / 08 ; CJUE 21 juin 2012, ANGED). Les congés payés et l’arrêt maladie ayant deux finalités différentes ne peuvent se confondre.

Mise en demeure de la France

Le Code du travail n’ayant pas été mis en conformité, la France a reçu, le 18 juin 2025, une lettre de mise en demeure de la Commission pour manquement aux règles de l’UE sur le temps de travail.

En application du droit européen, pour la Cour de cassation il convient de juger désormais que « le salarié en situation d’arrêt de travail pour cause de maladie survenue durant la période de congé annuel payé a le droit de bénéficier ultérieurement des jours de congé payé coïncidant avec la période d’arrêt de travail pour maladie » (Cassation sociale 10 septembre 2025, n° J 23-22.732).

Pour en bénéficier, le salarié doit avoir notifié un arrêt de travail pour maladie à l’employeur. Des questions pratiques se posent : cette règle est applicable aux cinq semaines de congés ; le régime du report restant à préciser.

Calcul des majorations des heures supplémentaires

Un autre exemple de la façon dont la diffusion du droit européen via la jurisprudence nationale s’est alors intensifiée concerne le droit au bénéfice des majorations pour heures supplémentaires. Selon le droit européen (CJUE 13 janvier 2022, C-514 / 20), afin de déterminer si le seuil des heures travaillées donnant droit à majoration pour heures supplémentaires est atteint, les heures correspondant à la période de congé annuel payé pris par le travailleur sont prises en compte en tant qu’heures de travail accomplies.

En application de cette règle, pour la Cour de cassation, l’assiette de calcul hebdomadaire des heures supplémentaires doit intégrer les périodes de congés payés. Les jours de congés payés, au cours d’une semaine, sont désormais pris en compte pour le calcul de la durée du travail lorsque le temps de travail est décompté à la semaine.

Le salarié a alors droit à des majorations pour heures supplémentaires en cas de dépassement de la durée légale de 35 heures hebdomadaires (Cassation sociale 10 septembre 2025, n° 23-22.732).

La disposition contraire du Code du travail (article L. 3121-28), qui subordonne à l’accomplissement de plus de 35 heures hebdomadaires de « travail effectif » le déclenchement des majorations pour heures supplémentaires, est écartée. Des questions pratiques se posent : cette règle est applicable aux cinq semaines de congés et aux heures complémentaires des salariés à temps partiel (à défaut, une discrimination indirecte serait imposée aux salariés à temps partiel, en majorité des femmes).

La jurisprudence européenne apporte encore bien d’autres précisions en matière de congés payés. Ainsi, en cas d’arrêt maladie en cours d’année, si le travailleur a subi une baisse de ses revenus (indemnités / rémunération), il a droit lors de la prise de ses congés payés à l’intégralité de l’indemnité de congés payés, sans réduction, calculée comme s’il avait travaillé pendant toute la période de référence (CJUE 9 décembre 2021, C‑217 / 20).

Ce sujet des congés payés est emblématique des nombreux apports du droit européen du travail au droit national. Le droit du travail grâce à la jurisprudence nationale est progressivement mis en harmonie avec le droit européen, assurant aux salariés le bénéfice de leurs droits et aux employeurs la sécurité juridique.