Quand ça veut pas… Vendredi 28 novembre, des médias locaux russes ont rapporté une explosion près de Yasny, dans l’oblast d’Orenbourg. Il s’agissait d’un tir de missile depuis la base de Dombarovski, près de la frontière kazakhe, qui est retombé sept secondes après son lancement, avant d’exploser.
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Moscou n’a pas commenté l’incident, mais celui-ci, filmé, a été largement relayé via des sites spécialisés. Selon plusieurs experts, il s’agit « vraisemblablement » d’un missile RS-28 Sarmat. Le même qui avait déjà détruit son silo d’essai à Plessetsk, en septembre 2024, créant un gigantesque cratère de soixante mètres de diamètre, et qui en serait ainsi à son… cinquième raté (sur six tentatives). L’engin est pourtant présenté comme le nouveau fleuron de la dissuasion nucléaire russe.
Pour le chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), spécialiste des questions de dissuasion, Etienne Marcuz, s’il « n’est pas question de sous-estimer la dissuasion nucléaire russe », ce nouvel échec autorise néanmoins à s’interroger sur les réelles capacités de celle-ci. Voici ce que l’on sait.
Qu’est-ce que le RS-28 Sarmat ?
Il s’agit d’un missile intercontinental (ICBM) pouvant emporter jusqu’à une dizaine de têtes nucléaires sur une distance d’environ 18.000 kilomètres. Surnommé aussi « Satan 2 », le Sarmat doit succéder au missile R36-M2 (ou SS18 Satan). À la suite d’un premier tir réussi annoncé par l’armée russe le 20 avril 2022, cinq échecs de tir ont suivi, si l’on inclut celui de vendredi dernier.
« Le programme Sarmat est développé depuis la fin des années 2000, pour remplacer le Satan, un missile qui date de l’ère soviétique, et dont les dernières versions ont été construites en 1988, en Ukraine, explique à 20 Minutes Etienne Marcuz. A la chute de l’Union soviétique [en 1991] des contrats de maintenance du missile se sont poursuivis entre les deux pays, ce qui n’a évidemment plus été possible à partir de 2014. Les Russes se sont donc retrouvés face à l’obligation de réaliser cette maintenance eux-mêmes, tout en développant parallèlement le Sarmat, le Satan arrivant en fin de vie ».
Comment expliquer une telle succession d’échecs ?
Certains observateurs soulèvent que l’échec fait partie du processus normal de la mise au point d’une telle technologie. « L’échec peut tout à fait arriver, concède Etienne Marcuz, mais pour faire une comparaison, le missile balistique M51 français a été tiré une bonne dizaine de fois depuis qu’il existe, et n’a échoué qu’une fois. Donc, cela arrive que des programmes connaissent des débuts difficiles, mais là on est sur autre chose. A la décharge des Russes, les Américains aussi connaissent des difficultés à développer le Sentinel, qui doit succéder au Minuteman. Ce n’est pas parce que vous avez possédé la compétence [du missile balistique et des têtes nucléaires] par le passé, que vous pouvez la maintenir facilement d’une génération à l’autre. Aujourd’hui, la Russie est face au défi de se réapproprier cette technologie qui remonte à l’époque de l’Union soviétique. »
Dans quel état se trouve l’arsenal de dissuasion russe ?
Au 1er janvier, la Russie disposait de 5.459 ogives nucléaires, dont 1.718 ogives déployées, selon le Sipri (Stockholm International Peace Research Institute). Elle reste donc la première puissance nucléaire mondiale, devant les États-Unis (5.044 têtes), la Chine (500) et la France (290).
Malgré ces déconvenues, elle possède par ailleurs de nombreux autres vecteurs pour tirer ses ogives nucléaires, comme les missiles Sineva et Boulava (tirés depuis des sous-marins), les missiles terrestres Yars et Orechnik, ou encore le missile air-sol Kinjal. « Le problème est que la Russie connaît aussi des difficultés avec le Boulava, elle est donc aujourd’hui face à deux vecteurs à la fiabilité incertaine qui font poser des questions », souligne Etienne Marcuz.
Outre le Sarmat, la Russie développe par ailleurs d’autres armes de nouvelle génération, qu’elle n’hésite pas à afficher à grand renfort de communication, comme le missile Bourevestnik, dévoilé le 21 octobre dernier, et le drone sous-marin (à tête nucléaire) Poséidon, présenté le 28 octobre.
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« S’il n’y a aucune raison de remettre en cause la réalité et la fiabilité de ces deux armes, elles restent anecdotiques en nombre de têtes : ce sera de l’ordre de 24 à 36 missiles Bourevestnik, et moins de 50 pour le Poséidon, pointe le spécialiste. Ce n’est rien comparé aux plus de 1.500 têtes embarquées sur les missiles balistiques. C’est donc plutôt un cache-misère de l’état de la dissuasion russe, qui reste conséquent, mais n’est pas nécessairement à la hauteur des objectifs qui lui sont assignés, à savoir pouvoir tirer des centaines de missiles contre les forces nucléaires adverses. Mais nous sommes d’accord qu’il suffit de quelques têtes pour détruire une ville, voire un Etat, il ne faut donc pas sous-estimer leur dissuasion. »
Un nouveau tir de missile programmé
La Russie ne semble pas vouloir rester sur cet échec. Un nouvel essai d’un missile balistique doit avoir lieu, cette fois depuis Plessetsk, dans le nord du pays, d’ici au 7 décembre, selon Etienne Marcuz. « On ne sait pas encore s’ils vont tirer un missile Yars classique, utilisé fréquemment durant les exercices stratégiques, ou une nouvelle version. Mais ce qui interroge dans cette annonce, c’est le timing, car vouloir tirer un autre missile aussi vite après cet échec, montre peut-être une volonté de se rassurer. » Dans tous les cas, conclut l’expert, « ils n’ont cette fois pas intérêt à se rater ».