Par
Rédaction Cahors
Publié le
2 déc. 2025 à 17h00
Mi-octobre, Gilles Sacksick décédait à l’âge de 83 ans, dont presque 80 ans à tenir à la main un crayon ou un pinceau. Gilles, peintre, graveur et lithographe, découvre le Lot à l’occasion de retrouvailles avec l’ami Robert Doisneau. Il s’installe avec sa famille d’abord à Loubressac (1970), puis à Végennes, près de Vayrac (1989).
Peintre reconnu, il a exposé à Paris, puis Londres, Bath, New York, Tokyo, Osaka, le musée Goya à Castres et l’École Vétérinaire de Maisons-Alfort.
Dans le Lot, Gilles fait la connaissance du couple Delbos, les extraordinaires inventeurs du Casino de Saint-Céré, lieu qui deviendra fameux en accueillant les grands noms de la chanson française et pour la qualité des expositions qu’ils organisaient. Suivront Carennac, Martel, Floirac, Loubressac, Vayrac, Les Quatre-Route-du-Lot, Saint-Michel-de-Bannières.
Les quatre textes ci-dessous sont extraits de sa monographie parue en 1992.

Autoportrait ©C. LamicMon premier atelier, c’est la cuisine maternelle
Aussi loin que remontent mes souvenirs – et ceux de ma mère ! – je dessine. Dessiner n’était pas tenu pour quelque chose de notable, mais comme l’une de ces particularités que la nature accorde à chaque enfant : certains s’endorment difficilement, d’autres encore marchent tardivement. Je me baladais dans le dessin, sans guide, sans boussole, sans repères, dans la même liberté – je n’avais que celle-là au sein du foyer familial – que celle accordée à l’enfant jouant sur le sable.
Comme beaucoup, j’appris à écrire avant de savoir lire par la copie inlassable que je faisais des alphabets de mes sœurs plus âgées que moi. Je dessinais tout : la vie qui m’entourait, celle qu’on me racontait. Je m’essayais à copier les vignettes des livres de classe, les calendriers des postes, ainsi que les illustrations des rares journaux qui passaient chez moi.
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Un de ses derniers autoportraits ©C. LamicAu lycée, la rencontre avec l’ennui
Je n’ai su que relativement tard que dessiner – ou peindre – pouvait constituer un métier : pour moi, dessiner n’était qu’un état de nature comme de respirer, de participer aux jeux rudes et épatants de mes copains d’école, garçons particulièrement dessalés. Je me dois de dire que jusqu’à l’âge de dix ans, je ne me suis jamais ennuyé en classe : j’apprenais facilement et l’étude ne me paraissait qu’un jeu parmi d’autres. Au lycée par contre, je découvrais un monde qui préfigurait bien, hélas, les grands ensembles en tout genre dont notre siècle s’est fait une spécialité. Il y avait dix ou onze classes de 6e et nous étions quarante ou quarante-cinq élèves par classe. D’emblée, j’ai détesté cet enrégimentement.
Progressivement, je me désintéressais de tout cela, faisant connaissance pour la première fois avec l’ennui. L’ennui compact, pompeux, l’ennui gris.
À 12 ans, je découvre le musée du Louvre
Fort heureusement, et dans le même temps où je me trouvais en classe de 6e, je découvris, seul, le Louvre. Ce fut la révélation : je sortais du Musée avec les yeux que dût avoir Moïse redescendant du Mont Sinaï. Je regardais tout. Sans le savoir, j’étais affamé et par conséquent j’aimais tout. Ce déluge de formes sculptées et peintes me remplissait d’une joie, d’une jubilation que je ne peux décrire. Les conflits de style ou d’époque m’étaient parfaitement étrangers (et me le sont en grande partie restés). Aimer Cimabue et Rembrandt en même temps, ou Ingres et Delacroix, ou Rubens et la Dentellière de Vermeer, ne me causait pas le moindre embarras.
Les matins du jeudi, ceux du dimanche étaient voués au Louvre, tandis que les après-midi l’étaient à des fréquentations douteuses qui, assez tôt, m’ont permis d’identifier certains mouvements de mon corps pour rencontrer les filles – ceci dans une époque où une sorte d’apartheid séparait les collégiens des deux sexes… Un vrai travail, mais aussi exaltant que le dessin, aussi nécessaire et pur que ce dernier.
Mes débuts à la peinture à l’huile… Lesieur
Ma classe de 1re s’est terminée par mon exclusion définitive du lycée, ceci pour indiscipline avec, en prime, un baccalauréat somptueusement manqué. Je manquerais beaucoup à mon souci de vérité, si je ne précisais qu’il entrait dans cet échec une bonne part de calcul. Depuis deux ou trois ans en effet – voulant devenir peintre et uniquement peintre – j’avais décidé de forcer le destin, c’est-à-dire ma mère, en sabordant mes études de façon si irrémédiable que, de guerre lasse, on m’accordât de me consacrer à l’étude et à la pratique du dessin.
Il est vrai que je dessinais tout le temps ; je possédais même peu à peu quelques petits ouvrages sur la peinture, bien modestes pourtant, mais qui m’étaient un trésor. J’en copiais les reproductions inlassablement. J’ai peint à l’huile pour la première fois entre quatorze et quinze ans ; j’avais punaisé sur le mur du couloir un morceau de drap, utilisant comme diluant, tant ma candeur était grande, de l’huile Lesieur. Il s’agissait d’une copie d’après un autoportrait de Rembrandt, copie que je possède encore.
Sa peinture par C. Lamic
Les thèmes picturaux développés par Gilles Sacksick peuvent être dits « classiques » : nu, portrait, nature morte, paysage, animaux… En revanche, son choix de traitement, sa façon de peindre ne le sont pas. Il saupoudre, il ensemence ses toiles d’une nuée de couleurs, les pigments naturels voltigent dans tout l’atelier. Il se surnomme avec un brin d’ironie, le « bougnat des couleurs » tellement ses cheveux, ses vêtements, ses mains en sont imprégnés. C’est dans l’instant que s’invente le thème de la toile. C’est d’abord une méditation rêveuse, puis c’est le saut dans le vif de la peinture, les taches de couleurs jetées là se constituent en dessin. Pas de contour tracé ou de crayon ; il privilégie l’espace, imprime sa spontanéité. Son seul guide, un pinceau imbibé d’eau et de colle, support qui recueille les pigments jetés comme autant de « poudre à sorcier ». « Tout artiste rejoue en permanence, chaque fois à sa propre façon, toute l’histoire de la peinture » commentait-il.
Son œil a développé une connaissance sensible et aigüe des nuances et des tons. Un rayon de soleil sur une poutre, la clarté d’une pièce se décline en une palette infinie de nuances. Connaissance qui vient alimenter son art du portrait, une discipline qu’il affectionne et qui lui vaut le Grand Prix de Portrait Paul-Louis Weiller en 1979 (Extrait d’un article dans Dire Lot).
Gilles Sacksick aimait expliquer « combien sa peinture lui permettait d’exprimer l’inexprimable de ses sentiments, de ses croyances, de son être si profond que les mots étaient vains ».
Nos pensées vont à son épouse Isabelle, à leurs deux enfants, Thomas et Charlotte, et à leur famille.
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