Lorsque la première version du plan américano-russe a été divulguée aux médias il y a deux semaines, Moscou a cherché à inclure une demande spécifique : l’amnistie des forces russes pour tous les crimes commis depuis le début de l’invasion russe à grande échelle en février 2022.
« Toutes les parties impliquées dans ce conflit bénéficieront d’une amnistie totale pour leurs actions pendant la guerre et accepteront de ne pas faire de réclamations ou d’envisager des plaintes à l’avenir », indique le plan en 28 points.
Cette demande a suscité une vive indignation en Ukraine, où la population et les autorités ont méticuleusement documenté tous les crimes de guerre présumés de la Russie afin que des enquêtes plus approfondies soient menées pour que Moscou rende des comptes.
Maksym Butkevych, journaliste ukrainien et l’un des plus éminents défenseurs des droits de l’homme du pays, a passé plus de deux ans en captivité en Russie. Il a déclaré à Euronews que Moscou essayait délibérément de se soustraire à sa responsabilité inévitable.
« Lorsque j’étais encore en captivité, mes compagnons prisonniers de guerre venaient me voir et me demandaient s’ils pourraient témoigner, par exemple, devant la Cour pénale internationale ou d’autres organes qui pourraient traduire en justice ceux qui nous ont fait ça », explique-t-il.
Selon Butkevych, les tentatives de Moscou pour faire passer la « demande d’amnistie » ne peuvent être acceptées en Ukraine.
« Le besoin de justice (en Ukraine) est énorme. Par conséquent, lorsque la Russie tente de faire passer ce point, elle se heurte à (notre) rejet catégorique et à l’indignation », a-t-il tranché. « Il est quelque peu étrange d’être indigné par les exigences de la Fédération de Russie à ce stade ».
« Peut-être sommes-nous trop fatigués pour nous indigner, car il y aurait alors trop de choses à se reprocher. Mais il y a un rejet catégorique de tout cela ».
En novembre, le bureau du procureur général de l’Ukraine avait enregistré 190 000 faits liés aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité commis par la Russie depuis le début de son invasion à grande échelle de l’Ukraine en 2022.
Sanctions de l’UE contre des fonctionnaires pénitentiaires russes
Le 20 novembre, le Conseil de l’Union européenne a imposé des sanctions à l’encontre de dix personnes impliquées dans des violations des droits de l’homme en Russie, notamment la torture d’otages civils et la répression de l’opposition.
Ces sanctions visent des hauts fonctionnaires de la direction principale du service pénitentiaire fédéral russe dans la région de Rostov, qui ont été impliqués dans la torture de prisonniers, notamment de prisonniers de guerre ukrainiens.
Les personnes russes sanctionnées sont responsables de la mort de la journaliste ukrainienne Viktoriia Roshchyna.
Elle faisait un reportage sur la politique russe de détention extrajudiciaire et de torture dans les régions occupées de l’Ukraine. Roshchyna a été détenue par les troupes de Moscou et est décédée à l’âge de 27 ans l’année dernière, après plus d’un an de captivité en Russie.
Son corps a été rendu à l’Ukraine au début de l’année, certains de ses organes internes ayant disparu.
Journaliste devenu soldat volontaire, Maksym Butkevych a déclaré que, lors des discussions sur les sanctions, les organisations de défense des droits de l’homme ont souligné à plusieurs reprises que la question des violations des droits de l’homme dans les territoires occupés et des atteintes aux droits des prisonniers de guerre ukrainiens et des civils détenus illégalement n’était pas une priorité depuis longtemps.
« Elle doit être au premier plan, car les violations ne sont pas des incidents isolés, elles sont systémiques et généralisées », a-t-il expliqué à Euronews. « Les droits des prisonniers de guerre et des civils détenus par les Russes sont violés de manière constante et systématique. Il s’agit clairement d’une politique coordonnée ».
Ayant lui-même subi les tortures dans les prisons russes, il insiste sur le fait que ceux qui mettent en œuvre cette politique et ceux qui sont responsables de son application sur le terrain, des traitements inhumains, des humiliations et de la torture, devront rendre des comptes.
« Ils doivent savoir que cela aura des conséquences », déclare-t-il.
« S’ils pensent pouvoir agir en toute impunité en Russie, ils doivent au moins savoir que cette impunité est limitée au territoire russe. C’est pourquoi le fait que cette mesure (les sanctions de l’UE) ait été prise est très important. J’espère que ce n’est qu’un début ».
Le bureau du procureur général ukrainien a révélé l’année dernière que jusqu’à 90 % de tous les prisonniers de guerre rapatriés ont déclaré avoir été torturés dans les prisons russes.
Selon Butkevych, les sanctions de l’UE prouvent que la demande de justice existe non seulement en Ukraine, mais aussi dans l’ensemble de la communauté internationale, « parce que nous avons été témoins de choses qui sont absolument interdites par le droit international ».
Il insiste sur le fait que si la Russie n’est pas tenue pour responsable, cela signifiera que « tout le droit humanitaire international, le droit international dans son ensemble, est dénué de sens ».
« C’est la politique systématique de la Russie de détruire le droit international tel qu’il existe actuellement, même s’il peut parfois sembler inefficace. Mais il s’agit de le vider véritablement de son sens ».
Il ne s’agit pas de territoires, mais de gens
Capturé par les forces russes en juin 2022 dans l’est de l’Ukraine, Maksym Butkevych est resté en captivité pendant plus de deux ans dans la région de Louhansk, occupée par Moscou.
Avec Donetsk, cette région de l’Ukraine est souvent appelée Donbas – la cible principale de la guerre menée par la Russie depuis la première invasion de 2014.
C’est cette partie de l’Ukraine que Moscou exige aujourd’hui de Kyiv qu’elle cède et retire ses forces, tout en demandant à Washington de la reconnaître officiellement comme russe.
Butkevych a déclaré que cette demande était inacceptable : pour lui, il ne s’agit pas des territoires en tant que « morceau de terre », mais des personnes, des Ukrainiens qui y vivent et qui sont « de facto pris en otage par la Russie ».
« À l’heure actuelle, il est impossible de vivre dans les territoires occupés sans être contraint d’obtenir un passeport russe, sans avoir des papiers de l’État agresseur, ce qui, bien sûr, constitue une violation du droit international ».
Six millions de citoyens ukrainiens se sont retrouvés dans les territoires temporairement occupés, dont 1,5 million d’enfants, selon les autorités ukrainiennes.
En tant qu’activiste des droits de l’homme se concentrant sur la protection des droits des civils détenus illégalement et des prisonniers de guerre, Butkevych affirme que chaque Ukrainien se trouvant dans les territoires temporairement occupés est un « otage de la Russie ».
« Tout civil peut se retrouver en captivité et devenir une monnaie d’échange, du matériel d’échange ou une personne utilisée pour la propagande », conclut-il.