Pendant des décennies, les astronomes ont scruté l’univers à la recherche d’exolunes, ces satellites naturels gravitant autour de planètes lointaines. Malgré la découverte de plus de 6 000 exoplanètes, aucune lune extrasolaire n’avait encore été formellement confirmée. Mais cette quête pourrait toucher à sa fin grâce à une étrange oscillation détectée autour d’un objet mystérieux nommé HD 206893 B. Si les soupçons des scientifiques se confirment, nous serions face à la première exolune jamais identifiée. Sauf que cette lune défie toutes nos conceptions : elle serait plus lourde que Saturne et remettrait en question tout ce que nous pensions savoir sur la formation des systèmes planétaires.

Un mouvement inexpliqué qui intrigue les scientifiques

Lorsqu’une équipe internationale d’astronomes a pointé l’instrument GRAVITY du Très Grand Télescope vers HD 206893 B, ils cherchaient simplement à tester les capacités de leur équipement à détecter des compagnons planétaires autour d’objets massifs. Ce qu’ils ont observé les a surpris : un mouvement résiduel, une légère oscillation que les modèles actuels ne parviennent pas à expliquer complètement.

Dans le vocabulaire astronomique, un mouvement résiduel désigne une variation de position qui persiste après avoir pris en compte tous les facteurs connus. C’est exactement ce type d’anomalie qui a historiquement conduit à la découverte de nouveaux corps célestes, comme Neptune au dix-neuvième siècle. L’hypothèse la plus plausible pour expliquer cette danse cosmique serait la présence d’un objet plus petit exerçant une attraction gravitationnelle suffisante pour faire vaciller HD 206893 B.

Une lune ou une planète déguisée

Avant de célébrer cette découverte, il convient de clarifier un point essentiel : HD 206893 B n’est pas vraiment une planète au sens traditionnel. Il s’agit d’une naine brune, un objet étrange qui occupe le territoire gris entre les planètes géantes et les véritables étoiles. Les naines brunes sont suffisamment massives pour fusionner le deutérium dans leur noyau, mais pas assez pour brûler l’hydrogène ordinaire comme le fait notre Soleil. Avec une masse environ vingt fois supérieure à celle de Jupiter, HD 206893 B se situe dans cette catégorie ambiguë.

Le système dans lequel évolue cette naine brune est lui-même fascinant. Son étoile hôte, HD 206893, ressemble beaucoup au Soleil en termes de composition chimique et de masse, bien qu’elle soit considérablement plus jeune, étant née à l’époque où les dinosaures dominaient encore la Terre. Mais la ressemblance s’arrête là. Le système abrite plusieurs objets massifs, dont un autre géant équivalent à onze fois la masse de Jupiter, une planète candidate de taille jovienne, et un vaste disque de débris qui rappelle une version titanesque de notre ceinture d’astéroïdes.

étoiles naine bruneCrédit : NOIRLab/NSF/AURA/P. Marenfeld/Remerciements : William PendrillIllustration d’une naine brune.Des proportions qui défient l’entendement

Si le compagnon potentiel, baptisé HD 206893 BI par les chercheurs, existe bel et bien, ses caractéristiques sont stupéfiantes. Les calculs suggèrent qu’il posséderait une masse équivalente à 40 ou 50% de celle de Jupiter, soit environ 130 à 160 fois celle de la Terre. Pour mettre ces chiffres en perspective, cela signifie que cette prétendue lune serait nettement plus massive que Saturne, la deuxième plus grande planète de notre système solaire.

Le rapport de masse entre HD 206893 B et son satellite présumé serait d’environ cinquante pour un, une proportion radicalement différente de ce que nous observons localement. Notre Lune représente environ un quatre-vingtième de la masse terrestre. Les lunes galiléennes de Jupiter sont dix mille fois moins massives que leur planète mère. Même Triton, la plus grande lune de Neptune, est près de cinq mille fois moins massive que sa planète. Le système de HD 206893 B bouleverse complètement ces schémas familiers.

La période orbitale de ce compagnon hypothétique serait d’environ neuf mois, une durée qui dépasse largement celle de n’importe quelle grande lune de notre système solaire. À titre de comparaison, notre Lune boucle son orbite en un mois, et aucun des satellites majeurs connus ne met davantage de temps.

Une quête qui ne fait que commencer

Cette découverte préliminaire rapportée dans Astronomy and Astrophysics s’inscrit dans une stratégie de recherche innovante. Contrairement aux précédentes tentatives de détection d’exolunes, qui reposaient sur l’observation de baisses de luminosité stellaire lors de transits, cette méthode se concentre sur l’observation directe de planètes géantes encore chaudes après leur formation et suffisamment éloignées de leur étoile. Ces conditions favorisent théoriquement la présence de satellites massifs.

Les chercheurs restent prudents et reconnaissent qu’il faudra davantage d’observations pour confirmer l’existence de HD 206893 BI. Cinq autres exoplanètes ciblées par l’étude pourraient également abriter des lunes géantes. Nous n’avons tout simplement pas encore les moyens techniques de détecter des exolunes de la taille de celles qui gravitent autour de Jupiter ou de la Terre. Pour l’instant, seuls les géants nous sont accessibles, et c’est précisément ce qui rend cette découverte potentielle si extraordinaire.