Dans les fragments poussiéreux d’un astéroïde aussi ancien que le système solaire nommé Bennu, des chercheurs ont détecté un signal inattendu : celui du tryptophane, l’acide aminé que votre cerveau utilise pour fabriquer la sérotonine, ce neurotransmetteur qui régule votre humeur et votre sensation de bien-être. Cette découverte, si elle se confirme, serait une première absolue dans l’histoire de l’exploration spatiale et bouleverserait notre compréhension de la manière dont les ingrédients de la vie sont arrivés sur Terre. Plus troublant encore : elle suggère que nous avons probablement sous-estimé ce que l’univers nous a offert il y a des milliards d’années.
Un voyageur spatial pas comme les autres
L’astéroïde Bennu n’est pas un simple rocher dérivant dans l’espace. C’est une capsule temporelle datant de la formation du système solaire, il y a environ 4,5 milliards d’années. En 2023, la mission OSIRIS-REx de la NASA est parvenue à en ramener sur Terre des échantillons prélevés avec une précaution extrême, protégés dans un conteneur spécialement conçu pour éviter toute contamination.
Cette prudence s’avère payante. En analysant ces fragments de poussière cosmique, l’équipe dirigée par Angel Mojarro du Centre de vol spatial Goddard a détecté quelque chose d’extraordinaire : un signal faible mais indéniable du tryptophane, présent dans plusieurs portions de l’échantillon.
Si cette détection est confirmée par des analyses complémentaires, ce sera la toute première fois qu’on trouve cet acide aminé dans un échantillon extraterrestre. Et pour cause : le tryptophane est une molécule particulièrement fragile.
Le mystère des météorites muettes
Voici le paradoxe qui intriguait les scientifiques depuis des décennies. Les analyses de météorites tombées sur Terre ont révélé de nombreux acides aminés, ces briques élémentaires qui composent les protéines du vivant. Mais certains acides aminés essentiels, notamment le tryptophane, brillaient par leur absence.
L’explication tient à la violence du voyage. Lorsqu’une météorite traverse l’atmosphère terrestre, elle subit des températures extrêmes et des pressions phénoménales. Les molécules fragiles comme le tryptophane ne survivent tout simplement pas à cette épreuve. Elles se désintègrent avant même de toucher le sol.
Un échantillon collecté directement dans l’espace et transporté délicatement sur Terre échappe à ce carnage. Pour la première fois, nous avons pu préserver des molécules trop délicates pour supporter un voyage non assisté. Cette découverte ouvre une fenêtre troublante : combien d’autres ingrédients prébiotiques se cachent sur les astéroïdes, invisibles jusqu’ici simplement parce qu’ils ne survivaient pas au trajet ?
Crédit : NASABennu et d’autres astéroïdes proches.Un inventaire cosmique qui s’étoffe
Le tryptophane ne voyage pas seul dans Bennu. L’astéroïde se révèle être un véritable garde-manger moléculaire. Les chercheurs y ont confirmé la présence de 14 acides aminés différents, dont plusieurs que le corps humain ne peut pas synthétiser et doit obligatoirement obtenir par l’alimentation.
Plus impressionnant encore : toutes les cinq nucléobases communes qui composent notre code génétique sont présentes dans ces échantillons. L’adénine, la guanine, la cytosine, la thymine et l’uracile, ces lettres qui écrivent l’ADN et l’ARN, flottaient déjà dans l’espace primordial.
L’équipe a également identifié des versions non biologiques de ces molécules, une preuve irréfutable de leur origine extraterrestre. Ces variantes ne se forment pas dans les organismes vivants terrestres, écartant définitivement l’hypothèse d’une contamination.
Une chimie spatiale plus complexe qu’imaginé
En examinant la composition minérale hétérogène de Bennu, comparable à un gâteau aux fruits dense et varié, les chercheurs ont découvert quelque chose de fascinant : aucun processus chimique unique n’explique la diversité des molécules présentes.
Différentes réactions ont eu lieu, beaucoup impliquant de l’eau liquide, pour générer cette palette de composés organiques. Cela suggère que la chimie prébiotique dans l’espace est bien plus riche et sophistiquée qu’on ne le pensait.
Cette complexité renforce l’hypothèse centrale de l’astrobiologie : les comètes et astéroïdes qui ont bombardé la Terre primitive n’ont pas simplement livré quelques molécules isolées. Ils ont apporté un véritable kit de démarrage pour la vie, avec une diversité chimique suffisante pour permettre l’émergence des premières formes biologiques.
Les implications pour la recherche de vie
Cette découverte comporte également un avertissement important pour les futurs chasseurs de vie extraterrestre. Le fait que le tryptophane puisse se former dans un contexte purement chimique, sans intervention biologique, signifie que détecter des acides aminés complexes ailleurs dans l’univers ne constitue pas automatiquement une preuve de vie.
Il faudra développer des critères plus sophistiqués pour distinguer la chimie prébiotique de la véritable activité biologique. Les missions de retour d’échantillons, comme OSIRIS-REx, deviennent ainsi cruciales : elles seules permettent de préserver et d’analyser les molécules les plus fragiles, celles qui pourraient nous raconter l’histoire complète de nos origines cosmiques.
Comme le soulignent les chercheurs dans leur publication parue dans les Actes de l’Académie nationale des sciences, des analyses supplémentaires sont nécessaires pour confirmer définitivement l’origine du tryptophane dans Bennu. Mais une chose est déjà certaine : l’univers avait préparé bien plus d’ingrédients pour la vie que nous ne l’imaginions.