Les scandales d’agressions sexuelles d’enfants par des animateurs périscolaires dans les écoles maternelles parisiennes s’amoncellent : en trois ans, 52 animateurs soupçonnés ont été suspendus et les plaintes des parents se multiplient. Entretien avec Inès de Raguenel, conseillère de Paris (XVe arrondissement), vice-présidente du groupe d’opposition Changer Paris (présidé par Rachida Dati) et membre de la commission Éducation-Famille.
Sabine de Villeroché. Que se passe-t-il, dans les écoles maternelles à Paris. Comment expliquer le nombre ahurissant d’agressions de ce type sur des enfants de 3 à 5 ans ?
Inès de Raguenel. Il faut bien prendre conscience que ce ne sont pas des drames isolés. Depuis plusieurs mois, je ne cesse d’alerter sur la multiplication des violences physiques et sexuelles dans le périscolaire. Ce qui se passe à la ville de Paris est un véritable scandale. Il y a quelques jours, j’ai à nouveau interpellé Anne Hidalgo et son premier adjoint en charge de l’éducation. Ils ont fait preuve d’une déconnexion et d’un mépris insupportable pour les parents des enfants victimes. Je rappelle que ce sont des dizaines enfants de 3 à 5 ans qui ont subi des viols et des agressions sexuelles dans les écoles parisiennes. Personne ne peut remettre en question leurs mots, tant ces derniers sont insoutenables.
La ville de Paris a vraiment pratiqué l’omerta et le déni, ces derniers mois. Depuis les premières révélations au printemps dernier, aucun plan d’action concret et efficace n’a été mis en place par la ville.
S. d. V. Les animateurs soupçonnés d’agressions sur des enfants ont-ils été renvoyés rapidement ?
I. d. R. Les violences commises sur les enfants sont diverses. Pour certains faits, des animateurs ont été suspendus. Mais pour d’autres signalements, les CASPE (circonscriptions des affaires scolaires et de la petite enfance – service déconcentré des affaires scolaires dans les arrondissements) ont simplement déplacé l’animateur soupçonné. Des parents d’enfants qui ont été victimes au mois de juin dernier ont changé leur enfant d’école à la rentrée mais se sont retrouvés face à de nouvelles affaires dans leur nouvelle école.
Ce fonctionnement est inconscient et dangereux. Au mois de juillet dernier, après la révélation d’un nouveau drame dans le XIIe arrondissement, j’ai formellement demandé au premier adjoint en charge de l’éducation, Patrick Bloche, de saisir l’inspection générale de la ville de Paris pour lancer une enquête administrative globale sur l’ensemble du périscolaire parisien. Sept semaines plus tard, le 10 septembre, il a refusé, l’enquête n’étant « pas nécessaire » selon lui, car des enquêtes administratives locales étaient menées dans chaque école concernée.
S. d. V. Ces enquêtes locales et ces déplacements d’animateurs ont-ils été efficaces ?
I. d. R. Absolument pas. C’est pourquoi nous avons également fait un signalement au procureur de la République au titre de l’article 40 du Code pénal. À la rentrée, et encore ces dernières semaines, de nouveaux viols et agressions sexuelles ont été révélés. Neuf écoles du XIe et XIIe arrondissement sont concernées. Des dizaines de parents ont porté plainte contre des animateurs. Ce sont, à chaque fois, deux à trois animateurs par école qui sont accusés. J’ai continué à interpeller la ville sur le sujet. Avec ma collègue Nelly Garnier, conseillère de Paris du XIe arrondissement, nous avons utilisé tous les moyens d’action qui sont en notre possession (vœux, question orale, courriers, vidéos, tribune dans la presse). À chaque fois, le même mutisme, le même déni, la même inaction.
Le 27 novembre dernier, nous avons à nouveau écrit à Patrick Bloche pour que la ville agisse, en lui rappelant la dizaine d’alertes que nous avons faites.
S. d. V. Selon Cécile Ollivier, grand reporter pour Elle qui, récemment, s’exprimait sur un plateau de télévision, le phénomène n’est pas nouveau puisque, dès juin 2015, un rapport de l’inspection générale de la mairie pointait déjà la « gestion empirique » de cas d’agressions sexuelles dans les écoles parisiennes. Comment expliquer cette impéritie des autorités pendant dix ans ?
I. d. R. En effet, les dysfonctionnements sur les temps périscolaire ont débuté dès la mise en place de la réforme des rythmes scolaires sous François Hollande, en 2013. À l’époque, ce chamboulement, le passage de 4 jours d’école par semaine à 4 jours et demi, s’est fait dans la précipitation. Pour arrêter l’école le mardi et le vendredi à 15 h, et instaurer des temps périscolaires jusqu’à 16 h 30, il a fallu recruter en urgence beaucoup d’animateurs. Fatalement, un grand nombre étaient et sont encore sans qualification et sans diplôme. À ce jour, il n’existe toujours pas de critère de sélection pour devenir animateur à Paris, hormis un casier judiciaire vierge (qui n’est d’ailleurs pas toujours vérifié). Les animateurs ont parfois été recrutés du jour au lendemain au sein de populations précaires. Les directeurs du périscolaire témoignent souvent de leur désarroi : les services de la ville leur envoient, pour compléter leur équipe d’animateurs, des individus qui ressemblent à des « marginaux » (selon leurs mots) à qui personne ne voudrait confier ses propres enfants. Tout cela sans que les parents ne soient évidemment informés.
S. d. V. Pourtant, à la mi-novembre, la mairie de Paris a mis en place « un plan d’action pour faire face à ces violences » : vous n’êtes pas satisfaite ?
I. d. R. La majorité municipale a réagi, face à la montée médiatique de ces affaires et au travail formidable des parents qui sont déterminés à faire connaître la vérité. Mais les propositions de la ville sont totalement hors-sol, Mme Hidalgo a tenté un coup de communication qui ne trompe personne, et surtout pas les parents d’enfants victimes. Ils sont les premiers atterrés par la légèreté de leur contenu. D’ailleurs, certaines de leurs propositions sont identiques aux préconisations du rapport de 2015 – ce qui prouve bien qu’ils n’ont pas agi. Un Défenseur des enfants va être mis en place, la ville va donc nommer un haut fonctionnaire supplémentaire. À quoi servira ce Défenseur ? Comment pourrait-il être indépendant, s’il est nommé par la majorité municipale en place ? Quels seront ses moyens ? Nous ne savons rien. Tant que le sujet du recrutement ne sera pas traité, rien ne se fera d’efficace, puisque la saisine du haut fonctionnaire n’aura lieu qu’une fois que l’enfant sera une victime. Par ailleurs, la ville propose de créer un poste d’agent administratif supplémentaire dans toutes les CASPE parisiennes, c’est délirant : ce sont les CASPE qui dysfonctionnent, nul besoin d’avoir un énième fonctionnaire ! Les familles ont besoin de personnes sur le terrain, qualifiées et de qualité, qui s’occupent des enfants.
Quant aux deux jours de formation prévus pour chaque animateur, c’est une plaisanterie : qui peut imaginer qu’un prédateur puisse changer d’avis, après deux jours de formation sur les violences sexuelles ?
S. d. V. Que dites-vous aux parents des victimes qui prennent contact avec vous ?
I. d. R. Je les écoute. Le maire de Paris et son premier adjoint ne les ont pas reçus et ne leur ont pas même témoigné leur soutien. Les parents se disent très seuls et abandonnés. La ville les a laissés se constituer partie civile seule. Ils doivent trouver un avocat, avancer des frais de justice, trouver un psychologue… Grâce à Rachida Dati, j’ai emmené certains d’entre eux au cabinet du ministre de la Justice, Gérald Darmanin, pour qu’ils soient entendus par la conseillère en charge des affaires pénales et des victimes. Ils sont déterminés dans leur combat pour faire reconnaître ce que leur enfant a subi et pour que ces drames cessent. Ils sont d’un courage qui force le respect. Avec Nelly Garnier et Rachida Dati, nous ne les lâcherons pas. Rachida Dati a présenté, cette semaine, un plan d’urgence pour les écoles du XIe et XIIe arrondissement. Plus aucun enfant ne peut se retrouver seul avec un adulte : mise en place de binômes d’animateurs, présence d’un agent consacré à l’hygiène des enfants (les actes les plus délicats dans ces situations). Nous demandons aussi un contrôle renforcé des agents : casier judiciaire, contrôle au FIJAIS [Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, NDLR], enquête de personne et d’environnement. Enfin, avec Rachida Dati, nous proposons une refonte globale du périscolaire parisien si elle devient maire de Paris, en mars 2026 : réforme des rythmes scolaires en revenant à la semaine de 4 jours, instauration d’études dirigées le soir avec des enseignants volontaires et animateurs qualifiés, un périscolaire, le mercredi, de qualité avec des animateurs diplômés et une amélioration du statut de ces agents pour le rendre plus attractif.
Le temps périscolaire, dont la ville a la charge, doit redevenir un temps éducatif sûr et de qualité. Les Parisiens confient leurs enfants, ce qu’ils ont de plus cher !
Nous continuerons à demander une enquête interne, nous continuerons à défendre les familles meurtries.
Ces enfants n’auraient jamais dû devenir des victimes en allant à l’école.
La Ville de Paris doit se remettre en cause. Elle le doit à tous ces enfants agressés sexuellement. https://t.co/pjISKZtnFl— Inès de Raguenel (Carayon) (@InesDeRaguenel) November 25, 2025
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