Par
Antoine Blanchet
Publié le
5 déc. 2025 à 7h22
« Vous êtes encore jeunes. Vous avez la vie devant vous. Je ne sais pas ce que vous a rapporté cette histoire, à part des emmerdes ». À la barre, la voix de Madame K. ne tremble pas ce jeudi 4 décembre 2025 devant le tribunal correctionnel de Paris. La femme à la silhouette fine et au chignon blond s’est tournée vers les deux jeunes hommes dans le box et les trois autres sur le banc des prévenus. Aucun ne bronche face à cette maman qui n’hésite pas à sermonner ceux qui ont enlevé et séquestré son fils il y a quelques mois. « Je voudrais m’excuser auprès de vous et de votre fils », lâche l’un d’eux dans un débit rapide.
Course-poursuite dans le 16e
Pour comprendre cette affaire, il faut remonter au 30 août 2025. Le soleil tape sur la capitale. Dans les rues du 16ᵉ arrondissement, Sam*, 15 ans, flâne avec un copain. L’après-midi défile jusqu’à 17 heures. Sur l’avenue Victor-Hugo, une berline noire croise la route des deux ados. Le véhicule s’arrête. À l’intérieur, l’un des cinq hommes crie « Y’a Sam ! ». Deux d’entre eux sortent de la voiture aux vitres teintées et pourchassent les deux jeunes jusqu’à un McDonald.
Dans le fastfood, Sam reconnaît l’un des deux poursuivants. Il s’agit de Simon. L’homme au chignon brun a entretenu une relation avec sa sœur pendant plusieurs mois. Selon la victime, ce jeune de 20 ans l’aurait déjà racketté à plusieurs reprises. « Ses connaissances me font peur », déclarera Sam aux enquêteurs. Au McDonald, Simon, accompagné de Bouna, aurait tiré l’adolescent pour l’emmener dans la voiture, laissant le copain sur le carreau.
« Je sais qu’on l’a enlevé »
Dans le véhicule, la victime reçoit des gifles. Son téléphone, subtilisé, est fouillé par Bouna, qui parvient à se faire un virement de 800 euros. La voiture roule jusqu’aux quais de Seine. Des propos menaçants sont tenus. « Aujourd’hui t’es mort. On va te mettre dans un parking tout nu. On va te mettre des trucs dans le c..”.
Pendant ce temps, l’ami de Sam va chez les parents de la victime. Il raconte à sa mère toute l’histoire. Cette dernière décide d’appeler son fils. Au bout du fil, il lui dit que tout va bien. Il est en fait sous la menace des ravisseurs. La maman n’est pas dupe. Elle sait que la petite somme sur le compte en banque a été soutirée. « Je dis à mon fils qu’il ment, que je sais qu’on l’a enlevé. Il me répond que c’est une blague », dit-elle aux enquêteurs. En fond elle entend plusieurs voix. L’enfant réitère qu’il va bien et annonce qu’il va rentrer plus tard. La mère prévient : elle va se rendre à la police.
La menace produit un certain effet. Elle reçoit un message de Sam : « Ne va pas à la police. » Dix minutes plus tard, c’est un appel. Une voix qu’elle ne connaît pas lui dit que tout ça n’est qu’une vaste blague. Pas de rire au bout du fil. La maman dit qu’elle n’apprécie pas. Que 800 euros ont été volés. Qu’il faut ramener son fils. Elle dit au jeune homme qu’elle est à la police. Le groupe explique alors que Sam leur doit de l’argent après avoir abimé une voiture dans le Sud de la France. Les justifications n’entament pas les résolutions de la mère de famille. Elle se rend au commissariat pour expliquer la situation. De leur côté, les occupants de la berline noire déposent la victime dans le 15ᵉ arrondissement.
« Ce que j’aimerais, c’est que ça s’arrête là »
Vidéosurveillance, témoignages, téléphonie… Les ravisseurs présumés sont très vite identifiés par le premier district de police judiciaire. Ce jeudi, devant les juges, ils réfutent tout enlèvement. La rencontre fut cordiale. Légèrement tendue tout au plus. « On l’a croisé dans la rue et je l’ai suivi jusqu’au McDo. Je lui ai dit qu’il me devait 400 euros, car on devait partir en vacances dans un Airbnb et il n’était pas venu », déclare Simon. Il l’assure : personne ne l’a forcé à se rendre dans la voiture. Aucune vidéosurveillance ne permet non plus de l’établir avec certitude. À l’intérieur de la berline, Sam et Simon auraient échangé des banalités. Le virement à Bouna aurait été fait de manière consentie.
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Ces explications laissent le tribunal circonspect et agacent la mère de la victime, seule présente sur le banc des parties civiles. « Cette histoire de Airbnb, elle est inventée de toutes pièces. Apparemment, il ne devait rien à personne », déclare-t-elle à la barre.
Venue dans une « démarche de paix », la mère de famille affirme que son fils, encore traumatisé par l’affaire, continue à recevoir des menaces sur les réseaux sociaux. « Je ne suis pas là pour vous enfoncer. Ce que j’aimerais, c’est que ça s’arrête là », lance-t-elle aux prévenus. Elle ne demande pas de dommages. Avant de partir, elle se tourne vers les avocats de la défense. « Il faut les inciter à dire la vérité », conseille-t-elle aux conseils. À cette demande, les pénalistes font la moue.
« Ce sont des jeunes qui ont fait une connerie »
Car pour la majorité de la défense, cette houleuse affaire se résume à un parole contre parole. Dans leurs plaidoiries, plusieurs n’hésitent pas à étriller la version de Sam. « On doit s’arrêter sur des éléments matériels et objectifs dans ce dossier. Pas des paroles. Ça ne peut justifier une condamnation », martèle l’avocate de Simon, qui pointe des incohérences dans le récit de la victime. « Il dit s’être fait emmener de force dans un lieu habituellement très fréquenté. Et personne n’appelle la police ? », interroge-t-elle.
À l’inverse, l’avocat de Sam, Me Brunisso, remet en cause les dires des prévenus. « Pourquoi la victime mentirait ? Pourquoi ses parents mentiraient ? Vous avez un gamin qui ne va plus à l’école et qui est pris en charge dans un centre de psychotraumatologie« , lance le pénaliste. La procureure va plus loin. Elle parle de faits « dignes de la criminalité organisée mais commis par des voyous à la petite semaine ». Contre Simon, selon elle « l’instigateur principal », elle demande un an de prison ferme avec aménagement sous bracelet électronique, en raison de son casier vierge. La peine la plus lourde est requise contre Bouna : deux ans d’emprisonnement avec maintien en détention.
« Ce sont des jeunes qui ont fait une connerie. Ils en ont conscience. Ça pue l’amateurisme », tente de nuancer l’avocat de Bouna. Ces mots ne suffisent pas pour les juges. Ils condamnent Simon et Bouna à la même peine : 10 mois de prison ferme avec mandat de dépôt. Le premier, qui comparaissait libre, est emmené par les policiers. Un troisième prévenu écope d’un an de prison avec sursis. Les deux autres sont relaxés.
*Le prénom a été modifié.
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