L’Espagne, les Pays-Bas, l’Irlande et la Slovénie ont annoncé leur retrait, jeudi, déplorant que l’UER, qui organise l’événement, ne sanctionne pas Israël pour la guerre à Gaza. Une majorité de membres a refusé d’organiser un vote sur une possible exclusion.
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Publié le 05/12/2025 12:39
Temps de lecture : 8min

Un écran annonçant l’édition 2026 du concours de l’Eurovision à Vienne, la capitale autrichienne, le 25 août 2025. (HANS KLAUS TECHT / APA / AFP)
Quand Eurovision rime avec division. Israël pourra participer à l’édition 2026 du concours de chansons européen, et cette décision a mis le feu aux poudres, jeudi 4 décembre. Après qu' »une large majorité » des membres de l’Union européenne de radio-télévision (UER), l’instance organisatrice, a estimé qu’il n’était pas nécessaire de voter sur la question, les diffuseurs en Espagne, aux Pays-Bas, en Irlande et en Slovénie ont annoncé qu’ils boycotteraient l’événement, prévu en mai à Vienne (Autriche), dans la lignée des avertissements lancés en septembre.
Les partisans d’une exclusion d’Israël entendent protester contre la guerre et la crise humanitaire dans la bande de Gaza, et la participation de candidats israéliens avait déjà fait polémique lors des éditions 2024 et 2025. « La situation à Gaza, malgré le cessez-le-feu et l’approbation du processus de paix (…) rendent de plus en plus difficile le maintien de l’Eurovision en tant qu’événement culturel neutre », a ainsi réagi le secrétaire général de la chaîne de télévision publique espagnole RTVE, Alfonso Morales, pour expliquer son retrait. Le groupe audiovisuel public irlandais RTE a dénoncé les « pertes humaines effroyables à Gaza ». Pour le diffuseur néerlandais Avrotros, « des valeurs universelles telles que l’humanité et la liberté de la presse ont été gravement compromises, et pour nous, ces valeurs sont non négociables ».
D’autres boycotts pourraient être annoncés, comme celui du diffuseur islandais RUV, qui prévoit une décision « mercredi ». En Belgique, la RTBF, diffuseur belge francophone, doit prendre « position dans les prochains jours ». Les chaînes doivent se décider rapidement, la liste finale des participants devant être annoncée « avant Noël », selon l’UER.
« Israël mérite d’être représenté sur toutes les scènes du monde entier », a réagi sur X le président israélien Isaac Herzog. « J’espère que la compétition restera un événement qui défend la culture, la musique, l’amitié entre les nations et la compréhension culturelle transfrontalière », a-t-il ajouté. De son côté, le chef de la diplomatie israélienne, Gideon Sa’ar, a écrit, sur le même réseau social, accueillir « favorablement » la décision de l’UER, et avoir « honte » des pays qui refusent de participer au concours. « L’opprobre pèse sur eux. »
Le chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, s’est félicité vendredi sur X « que l’Eurovision n’ait pas cédé aux pressions, et que la France ait contribué à empêcher un boycott d’Israël dans cette enceinte ».
Non au boycott d’Israël au concours de l’Eurovision.
Jamais la France ne s’engagera dans la voie du boycott d’un peuple, de ses artistes ou de ses intellectuels. Tout s’y oppose dans l’âme et la tradition de notre pays, celle de l’humanisme des Lumières : par la culture, chacun…
— Jean-Noël Barrot (@jnbarrot) December 5, 2025
« Israël fait partie de l’Eurovision tout comme l’Allemagne fait partie de l’Europe », a affirmé le ministre allemand de la Culture, Wolfram Weimer, au journal Bild. Le diffuseur allemand SWR et sa maison-mère, le groupe audiovisuel public ARD, ont salué l’annonce. Le directeur général du groupe audiovisuel public autrichien ORF, Roland Weissmann, hôte du prochain concours, a lui aussi approuvé la décision de l’UER, regrettant toutefois le boycott de certaines chaînes. Des réactions sans surprise : l’Autriche et l’Allemagne avaient fustigé, en septembre, les oppositions de certains pays dénonçant le boycott culturel « stupide et vain ».
« C’est la première fois que nous voyons des divisions aussi profondes au sein de l’UER sur des questions politiques », a remarqué sur France 24 l’historien Dean Vuletic, auteur du livre L’Europe d’après-guerre et le concours de chansons de l’Eurovision. La question de la participation d’un Etat au concours créé en 1956 s’est pourtant déjà posée : la Russie, notamment, en est exclue depuis 2022 et son invasion de l’Ukraine. « Jamais dans l’histoire de ce concours nous n’avons connu (…) une telle division entre les diffuseurs membres de [l’UER] », a estimé auprès de Reuters Ben Robertson, un spécialiste du concours, auteur pour le site de fans de l’Eurovisions ESC Insight.
« Le navire Eurovision est en train de tanguer », a commenté sur franceinfo Fabien Randanne, journaliste à 20 minutes et spécialiste du concours, parlant d’un « coup de tonnerre ». Selon l’auteur du livre Queerovision, les tensions qui ont émergé en septembre n’étaient que les « prémices » et « la vraie crise ne fait que commencer ».
Après l’épisode de jeudi, le concours se trouve fragilisé symboliquement, perdant des poids lourds : l’Irlande a remporté sept fois le concours, les Pays-Bas cinq fois. Il est également frappé économiquement : l’Espagne fait partie des cinq plus importants contributeurs financiers de l’événement avec la France, l’Italie, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Le marché de la musique hispanophone est l’un des plus importants au monde, relève aussi Dean Vuletic, et la participation de l’Espagne est « un moyen pour l’Eurovision d’attirer des téléspectateurs partout le monde, notamment en Amérique latine ». Son absence est donc « un coup dur ».
« Ce qui s’est passé à l’Assemblée de l’UER confirme que l’Eurovision n’est pas un concours de chansons, mais un festival dominé par des intérêts géopolitiques et profondément divisé », a commenté le secrétaire général de la chaîne de télévision publique espagnole, Alfonso Morales, dénonçant « l’utilisation du concours à des fins politiques par Israël ».
Les opposants à la participation de l’Etat hébreu l’accusent en effet aussi d’ingérences et d’instrumentalisation politique du concours. Lors de l’édition 2025, la chanteuse israélienne Yuval Raphael, survivante de l’attaque du 7-Octobre, était arrivée à la deuxième place du concours malgré un accueil mitigé de la part du jury, portée par le vote du public, qui compte pour la moitié du classement. Alors que les fans ne peuvent pas voter pour le candidat de leur pays, Israël s’est vu reprocher d’avoir activement fait campagne en ligne auprès des votants d’autres pays européens pour faire briller sa représentante. En 2024, déjà, les spectateurs avaient fait bondir la candidate israélienne, Eden Golan, à la cinquième place.
Face aux critiques, l’UER a annoncé une modification des règles du télé-crochet et un renforcement des efforts pour « détecter et prévenir toute activité de vote frauduleuse ou coordonnée ». Ce sont ces nouvelles mesures qui ont été approuvées par un vote, jeudi, une majorité de membres convenant qu’il n’était pas nécessaire d’aller plus loin et d’organiser un vote sur la participation d’Israël.
Les nouvelles mesures prévoient notamment que le nombre maximal de voix par spectateur (identifié par son mode de paiement) « passera de 20 à 10 » lors du vote par téléphone, SMS ou en ligne. Et elles « découragent vivement toute campagne promotionnelle disproportionnée (…), en particulier si celle-ci est lancée ou appuyée par des tiers, notamment un gouvernement ou une agence gouvernementale ».
L’approbation des nouvelles mesures par les diffuseurs, dont les Finlandais, les Danois, et les Suédois, « démontre l’engagement commun de nos membres à protéger la transparence et la confiance dans le Concours Eurovision de la Chanson, le plus grand événement musical live au monde », a commenté la présidente de l’UER et de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci. Mais l’Eurovision ne sort pas indemne de cette polémique : « Perdre tout participant au concours cause, d’une façon ou d’une autre, certains dommages », juge Dean Vuletic.