« Pour le justiciable, ce projet de décret Rivage* serait un véritable ravage », assène Marie-Pierre Vedel-Salles, vice-bâtonnière de l’ordre des avocats de Montpellier. Massées autour d’elle ce 4 décembre sur les marches de la Cour d’appel de Montpellier, une grosse centaine de robes noires ont répondu à un appel national lancé par l’ensemble des barreaux de France et les syndicats d’avocats.
La profession se mobilise contre un projet de décret porté par le ministre de la Justice Gerald Darmanin, visant à limiter les procédures d’appel après un jugement de première instance. « Ce décret est totalement injuste, car des petits litiges seront privés du double degré de juridiction », dénonce la bâtonnière. C’est-à-dire d’un éventuel réexamen de leur affaire.
La réforme portée par le gouvernement prévoit en effet la suppression de la possibilité de faire appel pour des dossiers dont l’enjeu est inférieur à 10 000 euros (contre 5 000 euros aujourd’hui). La quasi-totalité des contentieux civils est concernée : droit du travail, droit commercial, indemnisation des préjudices corporels, loyers… « Par exemple, un salarié ayant demandé au conseil de prud’hommes de condamner son employeur à lui payer 8 000 euros de salaires et qui n’obtient pas gain de cause ne pourra pas faire appel, avec pour conséquence possible une interdiction bancaire, une procédure de surendettement…», illustre une pétition mise en ligne par la Conférence des bâtonniers de France sur Change.org, qui avait recueilli 6 000 signatures le 8 décembre. « Le rehaussement de ce seuil va éliminer beaucoup de litiges. 10 000 euros, c’est déjà une somme très importante pour beaucoup de justiciables. Ce sont les plus vulnérables qui seront le plus impactés », assure Maxence Delchambre, du SAF (Syndicat des avocats de France).
« Il vaudrait mieux mettre des moyens »
Pire, « certaines décisions ne pourront plus du tout, quel que soit l’enjeu financier, faire l’objet d’un appel », dénonce la bâtonnière de Montpellier. C’est le cas notamment des décisions des juges aux affaires familiales concernant les pensions alimentaires. « Par exemple, une mère isolée ayant saisi le juge aux affaires familiales pour avoir des pensions alimentaires ne pourra pas faire appel de la décision si elle ne les obtient pas ou si le montant obtenu ne lui convient pas », détaille la pétition.
Enfin, le projet de décret contesté prévoit également l’instauration d’une « autorisation » préalable du premier président des cours d’appel pour juger en appel certains types de contentieux. Autrement dit « un filtrage des affaires qui va là aussi être un frein d’accès au juge », pointe Marie-Pierre Vedel-Salles.
« Nous sommes dans une période où énormément de décisions sont rendues. Les juges traitent beaucoup de dossiers, parfois rapidement. Si on ne peut pas compter sur cette correction, ce second regard, c’est particulièrement grave » considère Sophie Barruet, de l’ACE – Avocats, Ensemble (association des avocats conseils d’entreprises). « Ce n’est pas parce que la justice est en manque de moyens qu’elle doit priver le justiciable d’accéder à son juge », renchérit la bâtonnière. « Avec Darmanin, les moyens supplémentaires qui pourraient être alloués à la Justice ne sont fléchés que vers la construction de prisons de haute sécurité, qui ont un coût énorme. Plutôt que ce choix du tout-sécuritaire, dont on sait qu’il n’est pas efficace car il y a un problème de réinsertion des détenus, il vaudrait mieux recruter de nouveaux magistrats et mettre des moyens dans les rouages de la justice », estime le représentant du SAF.
À l’issue d’une rencontre sur le sujet fin octobre, Gerald Darmanin écrivait sur X avoir « parfaitement entendu » les préoccupations des avocats et promettait une « phase de concertation approfondie » avec leurs représentants. Une suspension du projet a été évoquée, qui ne satisfait pas la profession. « Nous exigeons son retrait ».
* Rationalisation des instances en voie d’appel pour en garantir l’efficience.