Dans un milieu où les informations circulent vite, les rugbymen ne sont pas les seuls à parier sur leur sport. De gros parieurs, dont c’est parfois le métier, apprécient le rugby grâce à ses turnovers.
« On parie tous », souffle ce joueur de Pro D2, son ticket à la main, en tribunes juste avant un match. Bien sûr, comme beaucoup de ses confrères s’en défendent, il ne parie pas sur les matchs de sa propre équipe. Mais il sait, bien avant le grand public et même les bookmakers, les tendances. Précisément ? Si tel club va envoyer une équipe remaniée pour son prochain rendez-vous. Car c’est un phénomène très répandu au rugby, forcément, avec sa dureté et son calendrier à rallonge, qui obligent les staffs à choisir – ou renoncer, plutôt – à certaines rencontres. « J’ai le souvenir d’un match il y a quelques années (2019), où la cote de Montpellier à domicile était à 2,20 face à un Toulouse qui était déjà très fort, se rappelle un ancien « gros parieur ». Les bookmakers (opérateurs) ne voyaient pas forcément Montpellier favori mais quand les compositions sont sorties, Toulouse faisait tourner. La cote du MHR s’est écroulée à 1,20. Les mecs qui ont eu l’info en avant-première et parié en début de semaine ont fait un bénéfice énorme. S’ils ont parié 5 000 euros ça fait 11 000 de gains au lieu de 6 000. »
Des sommes qui ne sont pas citées au hasard et qui ne sont pas imposables, pour rappel. Dans les faits, ils ne prennent même pas le risque d’attendre le dénouement du match, et utilisent le « cash-out ». En clair, une fonction proposée par les sites de paris pour retirer une partie des gains ou limiter la perte, avant même la fin du match en question. Ces « mecs », ce sont ce que les sites de paris considèrent comme des « sharks » (requins), soit une infime minorité qui finit l’année bénéficiaire sur les pronostics (moins de 1 % en 2021). Pour réduire au maximum l’impact de l’incertitude sportive, ils se renseignent sur tout ce qui entoure un match : les conditions climatiques auprès de météorologues et les actualités des équipes avant le match. Rien n’est laissé au hasard. « Il faut dire que c’est de l’argent facile dans des proportions incroyables », poursuit un ex-spécialiste du genre.
Un sport moins regardé et des cotes moins précises
Alors, pour avoir ce type d’informations en avant-première, ils activent leur réseau rugbystique, potentiellement moyennant finance. De ce petit monde, on a vite fait le tour. Cela va du joueur espoir s’entraînant avec les pros jusqu’aux staffs. De la même manière que certains conseillers « officiels » en paris sportifs, tels que France Pronos ou Médiapronos, vont se renseigner sur des sports ou des championnats très secondaires.
Le rugby bénéficie aussi d’un relatif anonymat dans ce secteur. Loin des cadors que sont le football, le tennis et le basket, il ne génère pas autant d’intérêt des parieurs et donc est moins surveillé par les opérateurs. « Quand j’ai démarré il y a une dizaine d’années, c’était encore bien pire, notamment sur la Challenge Cup. Les bookmakers s’y intéressaient très peu, si ce n’est pas du tout, et leurs cotes étaient bien loin de la réalité du terrain. Même si cette tendance s’est amoindrie avec le temps, la Pro D2 est encore très peu pariée par le grand public. Et son positionnement les jeudis et vendredis fait que le grand public a moins tendance à parier en semaine. »
Autant de facteurs incitant les rugbymen à jouer, eux qui jouissent généralement de temps libre en semaine. « L’oisiveté est la mère de tous les vices », dit l’adage, et il s’applique parfaitement ici. Surtout si l’on rappelle que les joueurs de rugby professionnels, au-delà de leur environnement professionnel facilitant, cochent toutes les cases du profil cible des opérateurs, à savoir jeune, masculin et en recherche de sensations. 34 % des parieurs ont entre 18 et 24 ans, informe l’Autorité nationale des jeux. Un environnement loin d’être neutre, en somme…