Un jour, elle fut lasse de toutes ces allées et venues. D’un rôle à l’autre, il lui fallait changer de peau, plusieurs fois la même semaine parfois. « Mais à l’époque, c’était ainsi : tous les premiers rôles de l’opéra devaient fournir leurs propres costumes. » Il fallait donc courir les loueurs rue du Faubourg saint-Antoine.
Jusqu’au jour au Christiane Stutzmann a bénéficié d’une opportunité inespérée : « Une chanteuse se retirait du circuit professionnel et faisait à peu près mon gabarit. » Ce qui était rare à l’époque. « Le monde lyrique privilégiait des femmes plus opulentes. Moi j’étais presque considérée comme maigre. Aujourd’hui, peu importent les corpulences, et c’est bien mieux ainsi. »
Nous sommes dans les années 60, et la cantatrice originaire de Pont-à-Mousson, formée au conservatoire de Nancy, puis 1 er prix de chant en 1961 à Paris, avait déjà conquis les auditoires. En particulier avec le personnage de Tosca, qui restera son rôle fétiche. « La seule héroïne qui meurt non de la main de l’homme, mais de son propre choix. »
Et les rôles-titres se succèdent. La précieuse garde-robe acquise n’y suffit pas. « J’ai eu alors la chance de pouvoir me faire aider pour la compléter par Madame Renée, cheffe costumière à l’Opéra de Paris. »
Les robes léguées à un ami
De fil en aiguille, les malles se sont remplies à mesure que la voix de la soprano dramatique se déployait sur les scènes françaises, mais aussi à Rome, Londres, Milan, Amsterdam, Monte-Carlo, Bruxelles, Venise, Naples, Madrid, etc.
Et de cette carrière, elle avait conservé cette trace matérielle et fragile : tous ses costumes de scènes. Soigneusement remisés dans des malles, ils sommeillaient, témoins silencieux de la carrière d’une artiste qui, après avoir incarné Desdémone, Aïda, Manon, La Belle Hélène et tant d’autres, s’est consacrée à la pédagogie à Nancy et Paris.
Jusqu’au jour où elle a vent de la passion de Philippe Bauret, élève de son mari, costumier amateur, fou d’admiration pour cet art. « Et devenu un ami. À qui j’ai fini par léguer la quasi-totalité de mes robes de scène. »
« On ne fait que souffrir dans ces robes »
Et elle fit bien, si l’on en juge par l’exposition visible aux Archives Départementales. Sous le titre « Neuf destins de femmes à l’Opéra », s’y exhibent quelques-unes de ces robes dans lesquelles elle se fit reine, elle se fit soubrette, elle se fit amoureuse éperdue, ou victime expiatoire.
Elle se fit autre, tout en restant elle-même. Au prix parfois de quelques contraintes nécessaires. « Les baleines des corsets, une torture. On ne fait que souffrir dans ces robes-là. Tout est pénible ! » Mais une fois sur les planches, ces boutonnages arrière impossibles à gérer seule, les cerclettes volumineuses de la robe de Manon Lescaut, « dans laquelle on ne passe pas une porte », tout est oublié ! « On est dans le rôle, comme une seconde peau. Le costume vous impose certes ses propres règles, auxquelles on doit se plier. Mais ils sont nos outils de travail comme le corps est notre instrument. Et je n’y voyais rien à redire. »
Costume centenaire
Philippe Bauret, qui mit un soin méticuleux et passionné à restaurer ces vêtements de spectacles, leur a réservé pour l’occasion une scénographie incluant quantité d’objets, jusqu’à de magnifiques bijoux de scène.
« Il a recousu un à un les sequins de la robe de Manon », admire la chanteuse. « Et reconstitué intégralement le costume de Madame Butterfly. » L’original a près de cent ans. Le seul que Christiane Stutzmann a conservé. « Celui que je léguerai à ma propre fille. » Sa fille, Nathalie, elle-même contralto, et devenue cheffe d’orchestre à la brillante carrière internationale. Là aussi un magnifique destin de femme.
Jusqu’au 23 mai, Archives Départementales, 2 rue Jean-Baptiste Thierry Solet. Conférence de Christiane Stutzmann, sur place, mardi 29 avril à 18 h, « La mise en scène au théâtre lyrique ».