Comment parler des violences sexistes et sexuelles aujourd’hui au cinéma ? Comment s’emparer de ce qui est devenu un genre en soi : le huis clos bourgeois en costume ? Le réalisateur Jérôme Bonnell se confronte à ces questions avec son nouveau film, La Condition adapté du roman Amours de Léonor de Récondo paru en 2015. Nous sommes au début du XXe siècle, et Victoire – interprétée par Louise Chevillotte – se refuse à son notaire de mari, pour lui donner un enfant, elle lui propose de garder le bébé de la domestique qu’il viole régulièrement. Un marché ignoble qui va pourtant permettre aux deux femmes de se libérer…

Drame bourgeois & émancipation

Louise Chevillotte et Jérôme Bonnell se retrouvent pour la deuxième fois sur un plateau de tournage, après la mini-série Les Hautes Herbes réalisée par le cinéaste et diffusée sur Arte en 2022 dans laquelle Louise Chevillotte tenait un rôle loin de celui de Victoire, « je campais un personnage bien dans ses baskets, bonne vivante, très lumineuse. Quand j’ai lu le scénario de La Condition, Jérôme m’a alerté en me disant que le personnage était peut-être loin de moi. Il dépeignait un personnage malingre, toujours au bord de l’évanouissement, très fragile, qui traverse et qui est traversé d’un chemin d’émancipation. Ça a été un grand cadeau parce que, main dans la main, c’est comme si on avait décidé que la puissance et la modernité du personnage qui pouvait être la mienne – moi, Louise, jeune actrice -, était peut-être le point d’arrivée de Victoire ».

Car le personnage de Victoire, maîtresse des lieux, est peut-être le plus complexe de cette histoire, explique Jérôme Bonnell : « c’est le personnage de l’histoire qui évolue le plus, c’est une bourgeoise qui tient sa maison comme elle peut, même si elle a une espèce d’instinct de survie très sourd de se rebeller contre son mari, de réussir à le tenir à distance comme elle peut, tout ça très discrètement. Mais elle est quand même dans la maîtrise, dans la mise à distance des émotions parce qu’elle a été éduquée comme ça, on l’a maintenue dans l’ignorance même si elle se rebelle en lisant des livres, c’est le règne du paraître et c’est un personnage qui ne voit pas les contours de sa vérité, elle va beaucoup changer ».

Galatea Bellugi (Céleste) & Louise Chevillotte (Victoire) dans "La Condition" de Jérôme Bonnell Galatea Bellugi (Céleste) & Louise Chevillotte (Victoire) dans « La Condition » de Jérôme Bonnell – ©Diaphana distribution Déceler les mécanismes de l’emprise & de la violence

Jérôme Bonnell a pour habitude que l’on dise de ses films qu' »ils sont délicats » ; ici, en adoptant pour la première fois un roman à l’écran, le cinéaste semble avoir opéré un tournant : « j’ai l’impression de ne jamais avoir affronté la violence de façon aussi frontale ». Et pour cause, ce sont des corps de femmes corsetés et violentés que filme Jérôme Bonnell : « très vite, je me suis aperçu que je ne pouvais pas questionner l’emprise du masculin sans questionner l’emprise du cinéma ; donc il y a des moments où il fallait que je laisse mes personnages féminins un peu tranquilles avec ma caméra. Le regard masculin plane sur toute l’histoire de l’art en général, et quand on fait un film qui dénonce des viols, une emprise, il faut faire très attention, c’est une responsabilité supplémentaire. J’ai pensé à mon regard d’homme, car je ne voulais surtout pas me substituer au regard féminin : c’est un film d’homme qui précisément ne saura jamais ce que c’est que d’être une femme, et c’est peut-être pour ça que j’ai fait ce film ».

Louise Chevillotte a également pensé ce travail au regard de sa propre évolution : « il y a eu une révolution, parce que les images auxquelles je participais, les films que je faisais, je voyais toujours l’histoire, mais je n’en voyais jamais les conséquences et le système dans lequel elle s’inscrivait, j’étais juste contente de jouer. Petit à petit, avec beaucoup d’outils conceptuels et philosophiques, j’ai construit mon regard et un discours sur ce que c’était que d’être interprète. Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’incarner, c’est aussi interpréter, traduire une vision, s’inscrire dans une histoire et dans un monde ».

Galatea Belugi (Céleste) dans "La Condition" de Jérôme Bonnell Galatea Belugi (Céleste) dans « La Condition » de Jérôme Bonnell – ©Diaphana distribution

Plus d’infos & d’actualités :

  • La Condition un film réalisé et scénarisé par Jérôme Bonnell, en salles le 10 décembre 2025, avec Louise Chevillotte, Galatea Bellugi, Swann Arlaud, Emmanuelle Devos, Aymeline Alix, François Chattot, Camille Rutherford et Jonathan Couzinié
  • D’après une adaptation du roman Amours de Léonor de Récondo paru en 2015 aux éditions Sabine Wespieser

Extraits sonores :

  • Bande-annonce de La Condition de Jérôme Bonnell
  • La romancière Léonor de Récondo en 2015 sur France Info à propos de son livre Amours et de ses personnages Victoire et Céleste
  • Chanson de fin : You don’t own me de Lesley Gore