Par
Antoine Blanchet
Publié le
9 déc. 2025 à 21h10
On l’accuse d’avoir versé du détergent dans des aliments. Elle affirme avoir les mains propres. Voilà le spectacle peu banal qui s’est joué ce mardi 9 septembre 2025 devant le tribunal correctionnel de Nanterre. Dans le box des prévenus, Leïla Y.. Cette nourrice de 42 ans au regard perdu comparaît pour des faits graves. Elle aurait empoisonné ses anciens employeurs dans leur appartement de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). Le poison parfumé des produits ménagers a pu en cacher un autre aux effluves plus rances. Celui de l’antisémitisme contre la famille juive intoxiquée. Cette circonstance aggravante a été retenue par les investigations.
Un parfum de délit
La procédure commence par une odeur de Javel. Le 26 janvier 2024, c’est shabbat pour la famille T.. On se sert du vin rouge, déjà ouvert dans le frigo. Robe opaque, arôme parfumé, goût de détachant. La dégustation vire à la suspicion. Peu après, nouvelle étrangeté. La mère de la famille utilise du démaquillant. Le produit brûle ses yeux. Là encore, un relent parfumé. Trois jours après, l’odeur ne s’estompe pas. Le plat de pâtes et le whisky surprennent le palais. Le jus de raisin alerte les narines.
Ce quotidien javelisé pousse la famille à se rendre au commissariat. Selon les deux victimes, une seule personne était présente lors de ces jours inquiétants. Il s’agit de Leïla Y.. La nourrice s’occupe depuis plusieurs mois des enfants. Elle leur donne le bain, joue avec eux, leur lit des histoires. Les enquêteurs investiguent d’abord sur les produits odorifères. Expertise et contre-expertise parlent : la composante chimique d’un nettoyant ménager pour toilettes est retrouvée dans tous les aliments suspects.
La nourrice est placée en garde à vue. À la première audition, elle réfute tout empoisonnement. À la seconde, son discours bifurque à 180 degrés. Elle reconnaît avoir mis du produit savonneux dans le vin. « C’était pas pour les tuer. Je l’ai fait car mon employeur n’était pas agréable. C’était une blague. Comme un enfant qui met du sel dans un verre d’eau », abonde la jeune femme devant les policiers. Mêmes aveux lors de son premier interrogatoire devant le juge d’instruction. « J’avais aucune intention de tuer. Je leur présente mes excuses », regrette-t-elle. Élément à charge supplémentaire : l’un des enfants de la famille affirme avoir vu la prévenue transvaser de l’eau savonneuse dans une bouteille.
Des aveux sous contrainte ?
Mais ce mardi, rien à voir. Leïla Y. essaie d’effacer ces charges tenaces avec un spray de dénégations. « L’enquêteur m’a mis la pression lors de la garde à vue. Il m’a dit qu’il avait des preuves. J’étais fatiguée, j’ai inventé cette histoire. Il m’a forcé », implore la jeune femme d’une voix fiévreuse. Selon ses dires, son avocate l’aurait aussi incitée à se présenter comme une Locuste domestique.
Le président ne se laisse pas prendre par ces paroles détergentes de culpabilité. « Vous dites que vous avez été contrainte, mais votre avocate qui était présente, n’a rien relevé ». La prévenue maintient son cap. Sa voix se fait de plus en plus tremblante au fil des questions. Encore plus lorsqu’un des avocats de la famille l’informe que l’audition a été filmée, en raison du caractère criminel de l’infraction retenu dans un premier temps. Autre élément qui interroge : en deux ans de détention provisoire, la nourrice n’a jamais fait de demandes de remise en liberté. Elle explique avoir tenté en vain. « J’ai perdu deux ans de ma vie », se lamente-t-elle. Seul élément reconnu par l’intéressée : avoir falsifié sa carte d’identité.
La question de l’antisémitisme
Le mobile est tout aussi nébuleux. Selon les aveux rétractés de la nourrice, décrite comme immature par l’expert psychologue, un conflit financier avec ses employeurs pourrait l’avoir conduite à cet empoisonnement. Peu de temps avant les faits, elle avait réclamé un euro supplémentaire pour son tarif horaire. Le juge d’instruction est allé plus loin. La « bête immonde » pourrait avoir guidé la main de la jeune femme. Parmi les éléments à charge, des recherches faites sur la religion juive sur internet, mais également cette déclaration faite par Leïla Y. lors d’une perquisition à son domicile. « Ils ont de l’argent et du pouvoir. J’aurais jamais dû travailler pour une juive. Ça n’a fait que m’apporter des problèmes ».
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D’un air désolé, la jeune femme reconnaît depuis le box avoir proféré ces mots sous le coup de la colère. « Je suis chrétienne berbère. Je suis tolérante. Je ne suis pas raciste », affirme-t-elle. « Mais pendant l’enquête, vous dites que vous êtes musulmane et ne buvez pas d’alcool. On ne comprend pas. De quelle religion êtes-vous ? », lui demande l’un des avocats des parties civiles. Silence de la prévenue. L’embrouillamini spirituel est total.
« C’est la peur »
S’il n’a pas occasionné de blessures au sein de la famille T., le produit chimique a joué un rôle de catalyseur de terreur. « J’ai craint pour ma vie », souffle à la barre la mère de famille, qui s’est vue octroyer 21 jours d’incapacité totale de travail au vu du retentissement psychologique. Aux juges, elle raconte cet instant fatidique du 26 janvier 2024 où elle prend conscience qu’elle pourrait avoir été empoisonnée. « C’est la peur. Je suis allée voir si mes enfants respiraient. J’ai passé la nuit sur le fauteuil devant la porte avec la poussette devant par crainte qu’elle revienne », rembobine-t-elle. Depuis, l’angoisse est toujours présente. Dans la famille, on ne dort pas, ou on fait des cauchemars. « On a peur de ce qu’on peut ingérer », déclare la mère de famille.
Trois ans de prison requis
Pour les avocats des parties civiles et le procureur, il n’y a aucun doute : l’acte commis par la nourrice au casier vierge est bien antisémite. « Ses pensées véritables, ce sont ses recherches sur internet. Les juifs, les fêtes juives… Cette obsession la nourrit », fustige Me Patrick Klugman, avocat de la famille. « Tout est ciblé en raison de la religion. Le vin pour le shabbat. Le jus de raisin de marque Jérusalem », liste le procureur, qui évoque un « latent » ayant conduit à ces « faits sordides ». Le syncrétisme houleux évoqué par la prévenue serait aussi une stratégie de défense selon le ministère public.
« La société que je représente en a plus qu’assez de ces gens qui en attaquent d’autres en raison de leur simple religion », s’énerve le magistrat. Il demande une lourde peine. Trois ans de prison avec maintien en détention, ainsi qu’une interdiction de territoire français pendant 10 ans.
L’audience a été mise en délibéré pour le 18 décembre.
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