Par

Julien Munoz

Publié le

10 déc. 2025 à 6h10

Originaire de Saint-Germain-le-Gaillard (Manche), près des Pieux, où ses parents étaient agriculteurs, Vincent Le Biez, ingénieur général des Mines, a occupé plusieurs postes dans la haute fonction publique en quinze ans, souvent liés à l’énergie et l’environnement.

Il vient de quitter l’hôtel de Matignon, après quinze mois passés au sein du cabinet de trois Premiers ministres successifs.

J’ai adoré cette période. Les journées sont très longues, c’est vrai, mais c’est enthousiasmant de se retrouver là où se concentrent les décisions les plus importantes. Je n’en ressors ni blasé, ni déçu par la politique. Je suis même admiratif de ceux qui veulent faire avancer le pays et leurs idées.

Vincent Le Biez

L’arrivée

Plusieurs fois, au fil de sa carrière, Vincent Le Biez avait esquissé l’idée de rejoindre les cabinets ministériels, guidé par l’envie d’être « à l’interface entre la technique et le politique ».

En septembre 2024, après la dissolution de l’Assemblée nationale et les législatives qui ont suivi, Michel Barnier est nommé Premier ministre. Vincent Le Biez raconte avoir « une bonne image » du nouveau locataire de Matignon. Il se trouve qu’il connaît bien le directeur de cabinet nouvellement nommé, Jérôme Fournel.

Dans ses fonctions précédentes à la délégation interministérielle au Nouveau nucléaire, le Cotentinais était souvent en relation avec ce dernier, alors directeur de cabinet de Bruno Le Maire au ministère de l’Économie.

Je me suis permis de lui écrire. Il m’a tout de suite proposé un rendez-vous à Matignon.

Vincent Le Biez

Le cabinet surplombe différents pôles, à la fois politiques et techniques. Vincent Le Biez accepte assez rapidement la proposition de devenir chef du pôle « Vert », qui correspond à son parcours. Sous sa responsabilité, l’environnement, l’énergie, les transports et le logement. Une nouvelle aventure commence alors.

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Avant la dissolution, l’Élysée et Matignon avaient des conseillers partagés. Avec la nomination de Barnier, Matignon reprenant son autonomie, les équipes sont séparées pour correspondre à la nouvelle situation politique.

Les locataires

Trois Premiers ministres en un peu plus d’un an, et chacun son style. Un jour, le pôle « drivé » par Vincent Le Biez prépare un déplacement de Michel Barnier dans le Rhône. « On le prépare avec lui, on lui fait son dossier, on échange avec lui jusque dans le train qui conduit au déplacement pour balayer les différents éléments, raconte le Cotentinois. Généralement, dans ces moments-là, il en profitait pour nous poser des questions : qui on est, d’où on vient… »

Dans le cadre de sa nomination sous Michel Barnier, puis de sa reconduction par François Bayrou, Vincent Le Biez a eu un entretien final avec le directeur de cabinet.

Lorsque Sébastien Lecornu arrivera, il s’imposera un entretien personnel avec les chefs de pôle avant de les nommer.

C’est finalement le Premier ministre que j’ai le plus vu. Au-delà des points bilatéraux, que faisaient aussi ses prédécesseurs, il réunit chaque mardi et mercredi tous ses chefs de pôle autour d’un déjeuner pour préparer les questions au gouvernement. C’est l’occasion pour lui de donner ses directives, et d’échanger sur les gros sujets d’actualité.

Vincent Le Biez

Le quotidien

Une machinerie complexe, au sommet de la pyramide administrative. Rien n’est laissé au hasard. À Matignon, il y a le directeur de cabinet, véritable chef d’orchestre et parfois arbitre.

Avec, pour chacun, leurs spécificités. Autour de lui, des adjoints, et des conseillers spéciaux. Des pôles politiques (parlementaire, communication, discours/argumentaire) et une quinzaine de pôles techniques.

Le travail d’un chef de pôle, c’est d’animer son équipe et d’être l’interface avec la direction de cabinet, via des réunions qui ont lieu au moins une fois par semaine. Quand Sébastien Lecornu a été nommé, nous avons commencé à avoir des réunions tous les jours, courtes, dans le bureau du directeur de cabinet. Tous les matins, pour s’aligner sur les priorités de la journée, et faire remonter les informations les plus sensibles.

Vincent Le Biez

L’essentiel de la journée se passe dans les bureaux. Quand on y travaille, on se déplace très rarement. C’est aussi, d’un coup, être très courtisé. « Quand on vient d’être nommé à Matignon, la terre entière veut un rendez-vous pour se présenter, sourit le Manchois. Certaines administrations, filières économiques, formations professionnelles, ONG, Think tank… Au début, nous sommes obligés de réguler, pour tout faire rentrer dans l’agenda. »

Au jour au jour, les entretiens s’enchaînent et, régulièrement, des réunions interministérielles s’organisent. « Chaque semaine, nous voyions les directeurs de cabinet des quatre ministères liés à mon pôle, dans mon bureau, pour faire le point, indique Vincent Le Biez. Sur l’actualité, sur les enjeux, sur les sujets autour desquels des arbitrages étaient attendus. »

Trouver les voies de passage. Sujet par sujet.

La fragilité

Je n’ai connu Matignon que dans un régime sans majorité à l’Assemblée nationale. J’ai vu cette situation chaotique au Parlement, cette épée de Damoclès permanente, cette difficulté à trouver des compromis… Quelque part, cela rend l’exercice encore plus stimulant.

Vincent Le Biez

À son arrivée, Vincent Le Biez recrute quatre conseillers pour le pôle qu’il pilote. Sur recommandations, sur CV qui remontaient, en démarchant des membres de cabinets ministériels sortants.

« Globalement, il y a pas mal de candidatures. Même si, avec l’instabilité politique que l’on connaît, j’imagine qu’il y a des gens, dans le privé ou à des postes importants dans l’administration, qui vont plus hésiter qu’avant parce qu’ils se demandent combien de temps cela peut durer. »

Cela dit, à l’époque, « personne n’imaginait que l’expérience avec Michel Barnier durerait aussi peu de temps ». Dans les cabinets qui ont suivi, une forme de stabilité apparaît dans la composition des équipes. Comme si la fragilité des gouvernements et des situations était devenue plus consciente après la censure de Michel Barnier.

« Il nous est fréquemment rappelé de s’adapter à ce contexte politique, poursuit le Manchois. Au quotidien, l’objectif est de déminer un certain nombre de sujets pour éviter que les petites crises ne deviennent grandes. »

Les urgences

La tempête n’est jamais loin. « Sincèrement, dans les phases difficiles, je n’ai vu que des gens épris de l’intérêt général ». À Matignon, quand on sent qu’un sujet « monte », ou que l’on prépare une annonce importante, des échanges ont lieu avec les ministères concernés.

Il est demandé à ces derniers de produire un premier jet d’éléments de langage, pour s’assurer d’une ligne cohérente au sein du gouvernement. Charge au pôle technique et au pôle communication de valider ou non, puis de les diffuser aux ministères concernés et au porte-parole du gouvernement.

Ce n’est jamais parfait, mais on s’assure au moins que ce que l’on défend l’est de manière cohérente. Tout cela, souvent, se fait dans l’urgence, avec des sujets qui montent dans la journée au milieu de plein de rendez-vous. La gestion du temps est capitale à Matignon. Il faut être flexible, sur le qui-vive, en capacité de réaction. Il faut savoir très vite vers qui on peut se retourner, se construire un réseau solide.

Vincent Le Biez

La fourmilière

Une expression bien connue évoque « l’enfer » de Matignon. Vincent Le Biez préfère parler de « fourmilière ». « Matignon, c’est l’endroit où remontent tous les sujets, et surtout tous les problèmes, résume-t-il. C’est un lieu qui fourmille de réunions, d’arbitrages à donner. Il faut être tout le temps sur le qui-vive. Le week-end, on se retrouve parfois avec des interviews à relire… Ce n’est pas un endroit où on peut se dire : C’est bon, j’ai fini ma journée, je déconnecte. En permanence, il peut se passer des choses. On peut se ménager des plages de repos, mais il faut toujours être disponible. »

Sous Michel Barnier et Sébastien Lecornu, les ministères étaient tenus de soumettre l’interview réalisée par un ministre à Matignon pour une validation (annonces, chiffrage…).Sous François Bayrou, en revanche, pas de relectures. L’objectif : forcer les ministères à se responsabiliser. Entre d’autres termes : à eux d’assumer les conséquences s’ils font une annonce qui n’avait pas été arbitrée.

Vincent Le Biez et Michel Barnier
Vincent Le Biez, avec Michel Barnier, Premier ministre à l’automne 2024. ©DR
La Ruthénoise a représenté l'Aveyron à Matignon.
Matignon, lieu de pouvoir. « Enfer » pour les uns. « Fourmilière » pour d’autres. ©Wikimedia Commons
Vincent Le Biez a quitté Matignon il y a quelques jours, après quinze mois de mission.
Vincent Le Biez a quitté Matignon il y a quelques jours, après quinze mois de mission. ©Yves MALENFER
Outgoing French Prime Minister Sebastien Lecornu, who submitted his government's resignation to the French President this morning, arrives to deliver a statement at the Hotel Matignon in Paris, on October 6, 2025. France's President Emmanuel Macron on October 6, 2025 accepted Prime Minister Sebastien Lecornu's resignation, the presidency said, plunging the European nation further into political deadlock. Macron named Lecornu last month to the post, but the largely unchanged cabinet lineup he unveiled late October 5, 2025 was met with fierce criticism across the political spectrum. (Photo by Stephane Mahe / POOL / AFP) - FRANCE-POLITICS-GOVERNMENT
Matignon a été le théâtre de nombreuses crises, ces derniers mois. ©AFP

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