S’il a divisé au Festival de Cannes, dont il est tout de même reparti avec le Grand prix du jury, le nouveau film du cinéaste chinois surdoué Bi Gan, « Résurrection », s’avère l’expérience cinématographique et cinéphilique la plus folle de l’année. Deux heures quarante de pure magie !

« Dans une époque sauvage, les gens ont découvert le secret de l’immortalité : ne plus rêver. Comme une bougie qui ne se consume plus, ils existent à jamais. Certains rêvent en cachette, ce sont les “Révoleurs”. Avec eux, la réalité est douleur, l’Histoire, chaotique et le temps se convulse. » C’est par ce carton, déjà étrange, déjà poétique, que s’ouvre le film le plus cinématographique, le plus cinéphilique de l’année et, osons-le dire à quelques semaines de la fin d’icelle, également le plus beau que nous ayons vu.

Passé ce propos liminaire, Résurrection s’ouvre sur une salle de cinéma des âges farouches, dont le public chinois, vêtu à la mode du début du XXe siècle, se retourne vers nous, oui, nous, les spectateurs dudit nouveau long métrage réalisé par Bi Gan et nous observe avant d’être vivement chassé par la police. Surgit ensuite une photographe, sublime (Shu Qi, actrice fétiche de Hou Hsiao-hsien et de Wong Kar-wai), qui, posément, nous prend en photo. Dans l’explosion de poudre de magnésium de son flash, s’éclaire l’ambition du film : faire le portrait de l’amoureux du cinéma par le truchement même du cinéma. Du reste, l’intertitre qui suit parle d’un “Révoleur” qui s’est « caché dans un temps oublié de tous : le cinématographe ».

La photographe fait partie des “Grandes Autres”, seules capables de ramener jusqu’à la réalité, avec douceur, ces dissidents évadés. Ainsi, à la poursuite de son mystérieux “Révoleur” (Jackson Yee, une pop star en Chine), voilà qu’elle plonge l’intérieur d’un film muet d’inspiration expressionniste, tout en décors symboliques et perspectives hallucinées. Elle y déniche le fuyard réduit à l’état de monstre cireux, brûlé, bossu, et, dans son dos, découvre, greffé, un projecteur de cinéma qu’elle met en marche…

À travers le temps

Résurrection n’a à cet instant commencé que depuis une vingtaine de minutes ! Restent encore près de deux heures vingt d’immersion-projection dans la psyché cinéphilique, qui vont voir le même “Révoleur” traverser les époques, les genres, les esthétiques, les formats, les techniques…

Ainsi, après l’expressionniste des années 1920 de la première itération, place au film noir des années 1940 avec costards smarts, espions, flingues, stylos-poignards, ambiance paranoïaque et reflets à gogo. Place ensuite au conte fantastique, et philosophique, plus typiquement chinois (et japonais) des années 1960, avec son temple isolé au cœur de l’hiver, son pilleur abandonné et sa bavarde apparition d’un esprit de l’amertume.

Situé dans les années 1980, l’épisode suivant évoque le cinéma social le plus âpre et poignant, avec son arnaqueur décavé apprenant à une petite fille un tour de magie censé les sortir de la panade. Enfin, la dernière aventure suit l’errance d’un marginal et d’une belle oiselle sous la coupe d’un parrain, dans les bas-fonds humides de la nuit du réveillon de l’an 2000…

Mais ce résumé ne dit rien de la munificence de Résurrection, qui regorge en références, citations, symboles, signes, et qui étourdit de mots, plans, mouvements, silences, sons, musiques… C’est une œuvre monde, folle et sublime, qui capte, capture, captive… C’est du grand cinéma. C’est le cinéma.