Avant d’expliquer cette affaire à ses lecteurs, le site anglophone de la Deutsche Welle raconte le désarroi d’une femme, victime malgré elle de cette sombre mésaventure. “Lorsque son téléphone a commencé à sonner un matin de juin, elle ne savait pas que la nouvelle qu’elle allait recevoir allait la plonger, elle et sa fille adolescente, dans un tunnel de rendez-vous médicaux, d’examens et de peur. ‘Ce fut un choc, je n’y comprenais plus rien’.”
À l’autre bout du fil, se trouve un responsable d’une clinique belge, où, en 2011, la femme s’était rendue pour suivre un traitement de fertilité qui lui avait permis de concevoir sa fille. Ce dernier lui fait alors une annonce choquante, relate le média allemand : “Au téléphone, son interlocuteur l’informe que le sperme utilisé dans la conception de sa fille provient d’un donneur porteur d’une mutation rare du gène TP53. Si dans sa forme normale ce gène contribue à empêcher la prolifération des cancers, la mutation du TP53 est associée, elle, à un risque accru, tout au long de la vie, de nombreux cancers, y compris à un âge précoce.” Sa fille va effectivement hériter de cette mutation. Et son cas est loin d’être isolé.
Un consortium composé de plusieurs médias européens a enquêté sur cette affaire et révélé que des femmes venant d’au moins 14 pays européens ont reçu du sperme d’un donneur anonyme danois portant l’alias “Kjeld”. Au moins 197 enfants sont nés grâce à ses gamètes. Ils pourraient être bien davantage, alerte la Deutsche Welle. L’entreprise European Sperm Bank (ESB), une importante banque du sperme installée au Danemark qui a collecté et vendu ces échantillons, “n’a pas encore révélé le nombre total d’enfants conçus”.
Selon les informations recueillies par plusieurs médias impliqués dans l’enquête, plusieurs enfants seraient déjà morts.
Porteur sain
EBS aurait été averti une première fois en 2020 qu’un enfant issu d’un don et atteint d’un cancer présentait une grave anomalie génétique. L’entreprise aurait alors testé le sperme en question, mais le dépistage n’aurait rien révélé. C’est une autre alerte survenue trois ans plus tard qui conduit à un examen plus poussé : celui-ci révèle que Kjeld est un porteur sain de la mutation du gène TP53. “Le donneur lui-même n’est pas affecté par celle-ci, qui n’est présente que dans un cinquième de son sperme”, précise la BBC. Son sperme n’est plus utilisé à partir de la fin d’octobre 2023.
Aujourd’hui, les enfants qui seraient eux-mêmes porteurs de cette mutation auraient “jusqu’à 90 % de chances de développer un cancer au cours de leur vie”, tranche le site d’information britannique.
Pour maximiser les chances de survie, il est important de procéder à un dépistage. Selon une estimation de la RTBF, qui dénonce un “scandale sanitaire européen”, au moins 120 enfants sur les 197 identifiés pourraient ne pas en avoir encore effectué. “À cause de retards dans les tests, dans la compilation des données ou de l’absence d’information des familles ?” se demande le média belge, qui conclut en dénonçant “un manque cruel de suivi des dons de sperme en Europe. Aucun organisme, aucune administration supranationale n’assure le suivi des [dons de] spermes, des donneurs jusqu’aux familles receveuses, ni ne se charge de l’information en cas de problème génétique majeur, qui ne se déclare parfois que dix ou vingt ans après les naissances des enfants.”