« Entrez en résistance ». Le 22 novembre, la poitrine « lourde de douleur », Amine Kessaci appelait les 6 000 marseillais réunis à la marche blanche en l’honneur de son frère Mehdi, « un innocent » de 20 ans assassiné le 13 novembre de six balles dans le thorax, à lever « les mains vers le ciel pour rendre hommage à mes frères assassinés » et « dire que ce pays ne baissera pas la tête ».
En qualifiant dès le 18 novembre, jour des obsèques du jeune homme, cet assassinat de « crime d’intimidation », le ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, a accrédité l’hypothèse d’un « point de bascule ». Quelques jours plus tard, dans La Provence, accompagné du ministre de la Justice Gérald Darmanin, il appelait à un « sursaut », sursaut de l’État, des politiques, des citoyens.
Un mois après l’effroi et la sidération, alors qu’Amine, sous l’objet de menaces depuis cet été, est plus que jamais sous protection policière mais désormais aussi toute sa famille, une ancienne ministre et un journaliste, qu’ont fait l’État, les collectivités, la société pour dire non à l’emprise du trafic, pour qu’enfin Marseille arrête de voir mourir ses enfants ?
Samia Ghali : « Plus de 350 minots entre 2012 et aujourd’hui »
En 2012 déjà, la maire adjointe de Marseille Samia Ghali, à l’époque maire PS des 15e-16e, alertait sur la gangrène du narcotrafic et c’est avec « une colère froide » qu’elle compte aujourd’hui les morts – « plus de 350 minots entre 2012 et aujourd’hui ». Abderrahim, 15 ans, un casier judiciaire vierge, retrouvé carbonisé dans un jardin du 14e fin novembre ; Nessim, 37 ans, chauffeur de taxi, tué en 2024 par balle au volant de sa voiture par un adolescent de 14 ans ; Socayna, 24 ans, tuée en 2023 d’une balle de kalachnikov dans la tête alors qu’elle révisait ses cours de droit dans sa chambre à la résidence Saint-Thys (10e)…
Un décompte macabre que beaucoup de jeunes des quartiers ne font plus tant la mort, si violente soit-elle, fait partie de leur quotidien. « Nous, on est jeunes, on est en première ligne, la conscience de la peur, de la mort, on sait très bien ce que c’est », raillaient ainsi Amine, 16 ans et Adam, 19 ans, rares jeunes présents à la marche.
C’est pour lutter contre cette banalisation de la violence et cette « fascination » pour « ces barons de la poudre et du sang, ces rois maudits de l’économie souterraine » sublimés par « Netflix », comme il l’écrit dans son livre publié cet automne Marseille, essuie tes larmes. Vivre et mourir en terre de narcotrafic qu’en 2020, après la mort de son grand frère Brahim, retrouvé calciné dans une voiture, Amine a créé l’association Conscience d’aide aux victimes du narcotrafic. Il est aussi connu à Marseille pour son engagement politique au sein d’Europe Écologie-Les Verts dont il fut candidat aux élections législatives.
Le préfet Jacques Witkowski : « Il faut tenir le terrain avec des opérations de visibilité »
Le 18 décembre, en conseil municipal, le maire (DVG) Benoît Payan, qui depuis le drame a reçu à deux reprises Amine à l’hôtel de ville, proposera de lui louer gracieusement les locaux que l’association Conscience occupe tout en maintenant sa subvention annuelle (soit l’équivalent de 25 000 €/an).
Déjà invité à rencontrer Emmanuel Macron lors de sa visite à la cité Bassens à Marseille en septembre 2021, Amine Kessaci a récemment été reçu à l’Élysée par le président de la République, lequel se rendra dans la cité phocéenne mardi prochain. Lors de sa venue le 20 novembre à Marseille avec Laurent Nuñez, Gérald Darmanin, après avoir rencontré la famille de Mehdi, a annoncé 11 nouveaux magistrats entre janvier et septembre 2026. Depuis le 1er décembre et l’arrivée du nouveau préfet Jacques Witkowski, qui promet la « férocité républicaine » à ceux qui troublent l’ordre public, les opérations contre le narcotrafic se sont intensifiées. Le 9 décembre dernier, une opération ni XXL, ni Jumbo, mais « d’ampleur », a été menée sur une quinzaine de points de deal, faisant encore grimper le bilan 2025 : 1,4 tonne de drogue, 1 million d’euros et 132 armes saisis dans les quartiers Nord. Le lendemain, dans le cadre du plan « zéro portable » annoncé le 21 novembre, une fouille XXL a été menée à la prison des Baumettes, permettant la saisie de 40 téléphones.
« Il faut tenir le terrain avec des opérations de visibilité, explique le préfet, tout en défendant « la théorie de la vitre brisée », selon laquelle des petites infractions et le cadre urbain délabré peuvent conduire à une augmentation de la criminalité : « Il faut aussi mettre des moyens sur le logement, l’éducation, l’insertion sociale… Mais c’est du long terme. et c’est un peu l’ascension de l’Himalaya sans oxygène ».
Les anciens ministres de la Ville François Lamy, Sabrina Agresti-Roubache et Juliette Méadel, dans un long entretien à La Provence, (à lire dans notre édition de ce samedi 13 décembre) en sont convaincus : « Il faut remettre la prévention au cœur de la politique de la ville ». Enfin.