Julien Clerc: « À mes débuts, j’ai regretté de ne pas écrire mes mots. J’étais jaloux »

Quelles sont les réactions qui vous ont le plus touché depuis la sortie d' » Une Vie » ?

JULIEN CLERC : La tournée ne débute qu’en 2026. Les réactions du public à ces nouvelles chansons doivent encore être mesurées avec le filtre de la scène. Mais je constate avec plaisir que les gens sont particulièrement sensibles aux morceaux de l’album qui sortent de l’ordinaire : Saint-Nazaire, où je rends hommage à mon frère (Gérard Leclerc, décédé en 1983 dans un accident d’avion, NDLR), ou Les Parvis (sur l’assassinat d’une enseignante par un de ses étudiants). J’y vois le signe que j’ai gardé un certain niveau d’exigence. C’est important après soixante ans de métier, je ne peux pas vivre que sur mon passé. Je dois rester créatif.

Avez-vous l’impression d’avoir déjà tout dit dans vos chansons ?

Non, d’abord parce qu’il reste encore beaucoup de choses à écrire. Ensuite, parce que ce n’est pas moi qui écris mes chansons. J’ai la chance d’avoir pu renouveler les points de vue, les angles et la poésie des paroles en faisant appel à des auteurs différents. Il y a encore de nombreuses thématiques à explorer. On doit pouvoir parler de tout, mais il faut trouver la manière. Au début de ma carrière, j’étais frustré de ne pas être capable d’écrire mes propres textes, je me sentais dépendant du talent des autres, j’étais même un peu jaloux de ces artistes qui étaient à la fois interprètes, auteurs et compositeurs. Mais très vite, je me suis rendu compte que ça me permettait de me renouveler et de rencontrer des tas de grands auteurs. Peu d’entre eux m’ont échappé.

Le secret des bons auteurs

Quel a été le point de bascule dans votre carrière ?

La Cavalerie, mon premier 45 tours écrit par Etienne Roda-Gil en 1968. J’accumulais déjà les mélodies et j’étais désespéré de ne pas leur trouver de mots. Il y avait un bistrot à la Sorbonne, L’écritoire, où on traînait entre deux cours. Un jour, j’y ai lancé à la cantonade : « Qui veut m’écrire une chanson ? ». Et un jeune homme au fond de la salle a répondu : « moi ». Etienne Roda-Gil. Si j’avais rencontré un autre auteur, ne fusse que moyen, je ne serai pas là aujourd’hui. Tous les paroliers qui sont venus sur mes disques après Roda-Gil savaient que la barre avait été placée très haut dès le début.

Dans La Cavalerie, vous chantiez : « j’abolirai l’ennui« . Mission accomplie ?

Oui. C’était, certes, naïf et arrogant. Mais je me dis que je suis resté fidèle à ce jeune Julien un peu idéaliste qui ne voulait pas chanter n’importait quoi. Je rêvais de qualité. Sans l’avoir cherchée consciemment, j’occupe une bonne place dans la chanson française. J’ai eu des « tubes » qu’on a beaucoup entendus à la radio, des chansons d’amour et puis, au milieu, des chansons « sociétales ».

Comme Souchon, Cabrel ou Johnny, vos chansons ont accompagné des vies entières. Est-ce qu’il y a un artiste qui a joué le même rôle pour vous ?

Ils sont plusieurs. Bob Dylan, les Beatles, Paul McCartney, Charles Aznavour ou encore George Brassens, qui était l’idole de ma mère. Ils m’ont énormément aidé et m’aident encore. Ce sont des inspirateurs. Grâce à eux, j’ai toujours cru que si on chantait, c’était pour longtemps.

Vous n’avez jamais songé à arrêter ?

Jamais. Les chiffres de ventes, les streamings, les classements, tout ça… Je sais que c’est important. Je les regarde mais ça ne m’intéresse pas plus que ça. Il y a une sorte d’inconscience chez moi. J’ai sorti des disques plus faibles, ou disons « plus fainéants », mais je ne me suis jamais arrêté à ça. D’ailleurs, hormis peut-être les Beatles, qui n’a pas connu ça sur une longue carrière ? J’ai toujours avancé. Dans mon entourage, j’ai aussi cette chance d’avoir toujours un parolier, un musicien, un directeur artistique ou un arrangeur qui me dit : « ah, pour ton prochain album, ce serait bien si… » Et comme je suis un bon soldat, je me mets à l’ouvrage. Quand je suis au pied de cette montagne que représente un « prochain album », ça m’intéresse encore de savoir si je vais arriver à la gravir. À l’âge que j’ai, c’est génial d’avoir ça en tête.

Ma préférence, Ce n’est rien, Femmes je vous aimeCes chansons parmi les plus plébiscitées du public sont-elles aussi vos préférées ?

J’ai beaucoup de respect pour ces chansons. Elles ont connu un tel succès qu’elles finissent par vous échapper. Pour revenir à Bob Dylan, je ne pense pas qu’on fasse le même métier. Non seulement j’éprouve du plaisir à chanter chaque soir ces titres validés par le public mais je fais de mon mieux pour bien les chanter. Dylan, ça ne l’intéresse plus. Même quand il en met une ou deux dans sa setlist, il les massacre alors qu’il chante si bien celles des autres. Je ne vais plus le voir en concert pour cette raison. Quand vous sortez un album, vous voudriez que toutes les chansons plaisent. Il faut savoir prendre ça avec recul. J’ai des chansons préférées qui ne sont jamais diffusées en radio mais elles peuvent vivre par la scène, à côté de celles qui sont plus attendues.

A quoi faut-il s’attendre avec cette tournée 80 ans.

Elle commence en 2026, soit un an avant cet anniversaire. Initialement, j’avais envisagé de marquer le coup avec une dernière partie de tournée avec orchestre symphonique. Mais tout le monde fait ça aujourd’hui, C’est devenu du marketing. L’idée me paraît un peu « tarte à la crème » et me séduit moins. La formule de mes concerts va évoluer en fonction des tailles des salles où on joue. Il y a aura plus ou moins d’écrans, plus ou moins de musiciens. Avec des cordes, vous pouvez faire des choses différentes. Le répertoire va aussi évoluer.

Sur la nouvelle édition d' »Une Vie » qui vient de sortir, vous ajoutez six versions en piano/voix. Pour vous, une bonne chanson doit pouvoir tenir dans cette formule ?

Oui, c’est comme ça que je les juge avant de les enregistrer. Si j’avais été meilleur pianiste, j’aurai d’ailleurs tenté le coup de tourner dans les théâtres en formule piano/voix. Mais je ne suis pas Elton John ou William Sheller. Ceci dit, cet instrument continue à me surprendre. Il exerce une force attractive chez moi. J’aime m’asseoir chaque jour devant le piano et inventer une mélodie. Souvent, c’est à chier. Parfois, il y a quelque chose d’intéressant. Mais j’arrive à chaque fois à sortir quelque chose.

Une dernière question « tarte à la crème » comme vous dites. Quel est le secret de votre longévité ?

Il y a certainement la chance d’avoir croisé de bons auteurs qui m’ont permis de toucher le public. Même si je l’ai souhaité, je n’ai jamais cherché à avoir à tout prix du succès pour le succès. Chanteur, c’est aussi la vie que je me suis choisie. Je ne me suis jamais vu faire quelque chose d’autre. Je n’en ai jamais eu marre et j’essaye de ne pas décevoir. Et par-dessous, ça m’amuse.

Le 28/3 au Forum de Liège. Le 29/3 au Palais des Beaux-Arts, Charleroi. Le 2/10/2027, Forest National.

Julien Clerc Une vie Warner