Avec cinq millions de ventes en seulement quelques mois, et neuf prix raflés lors de l’iconique cérémonie des Games Awards, le jeu vidéo « Clair Obscur : Expedition 33 » a signé un exploit. Produit à Montpellier, il met surtout à l’honneur l’Occitanie, qui accueille aujourd’hui 10 % des entreprises françaises de cette filière… Si bien que pour Vanessa Kaplan, directrice générale du Syndicat national du jeu vidéo (SNJV), une véritable « touche occitane » semble se distinguer. Entretien.
Comment expliquez-vous que ce jeu ait particulièrement marché, qu’il ait raflé autant de récompenses alors que son studio est récent ?
C’est vrai que c’est assez extraordinaire ce qui se passe avec ce jeu. Je pense que ceux qui l’avaient vu avant qu’il ne sorte avaient vu le potentiel. Néanmoins, c’est vrai que 5 millions de ventes en quelques mois et autant de récompenses, on n’a pas vu ça depuis très longtemps.
C’est assez inexplicable, mais en même temps, je pense qu’il y a eu une “émotion”. Tu t’attaches aux personnages, l’histoire a bouleversé les gens, et il y a quand même un niveau d’exécution, que ce soit en termes de direction artistique, de musique. Il y a une espèce de truc un petit peu magique qui se passe.
Donc c’est un succès assez exceptionnel ?
En France, on a une filière du jeu vidéo qui existe depuis longtemps. Il y a des organismes de formation, et c’est une filière reconnue à l’international. Peut-être même plus à l’international qu’en France d’ailleurs. Et on a des studios qui ont déjà fait des gros succès.
Mais de façon aussi rapide, sur un premier jeu, avec un studio de taille assez réduite, des budgets importants mais pas extraordinaires par rapport à d’autres productions, je ne suis pas certaine que ça se soit déjà vu. Rafler neuf prix aux Game Awards, la cérémonie la plus prestigieuse pour notre industrie, et le prix du meilleur jeu de l’année devant des mastodontes américains et japonais… Je pense que ça ne s’est jamais fait.
Qu’est-ce qu’apporte ce succès à l’industrie du jeu vidéo français ?
En France, en termes de chiffres, on fait 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires, il y a 1 000 entreprises, 500-600 studios de développement, et on est la première industrie culturelle française devant le cinéma. Pourtant, on n’a pas encore gagné les lettres de noblesse qu’on pourrait avoir gagnées après 30 ou 40 ans de création de filière.
C’est donc une vraie reconnaissance de la créativité, de la qualité des productions et des studios français. C’est aussi un excellent signal qui est envoyé à la filière française – c’est une fierté pour toute l’industrie de voir un studio montpelliérain récompensé – et à l’international, vis-à-vis des investisseurs qui s’intéressent de près aux studios français.
Enfin, c’est un excellent signal qu’on envoie aux pouvoirs publics en France, aux médias et au grand public. Même s’il y a eu une évolution ces dernières années, on souffre encore de préjugés, de biais. On a encore du travail. Voir que ce succès a été repris dans les médias, qu’il y avait des publications du président de la République… C’est agréable de voir qu’on parle de l’industrie dans des termes positifs.
« On commence même à voir une touche occitane »
Sandfall Interactive est installé à Montpellier. Dans cet écosystème du jeu vidéo français, l’Occitanie est bien placée ?
En France, on a à peu près une entreprise sur deux qui n’est pas située en Île-de-France. On a plusieurs gros bassins : l’Auvergne-Rhône-Alpes, la Nouvelle-Aquitaine, et là, on sent vraiment la montée en puissance, depuis quelques années, de l’Occitanie.
Il y a un poids lourd, Ubisoft. Mais ce qui est intéressant, c’est que tous les ans, la région repart avec des trophées lors des Pégases (une cérémonie française de remise de prix portée par le SNJV, ndlr). Puis il y a un maillage très intéressant : on a une association régionale qui anime ce territoire, des organismes de formation, des prestataires de services… 10 % des entreprises du jeu vidéo sont situées en Occitanie. On commence même à voir une touche occitane. Il y a pas mal de jeux qui sont narratifs, avec des messages assez forts, des DA très polissées, d’une très grande qualité. Peut-être que je suis la seule à voir cette touche, mais quand même !