l’essentiel
Massivement contesté par les agriculteurs français, l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur est souvent présenté comme un marché de dupes. Les évaluations économiques montrent pourtant un bilan global légèrement positif pour l’économie française. Mais ces gains sont très inégalement répartis, opposant filières agricoles fragilisées et secteurs industriels, de services et de luxe largement gagnants.
L’accord entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) cristallise en France une opposition rare par son intensité. Blocages, manifestations et prises de position politiques quasi unanimement contre le texte sur la table depuis vingt ans traduisent une inquiétude profonde du monde agricole. Cette hostilité ne relève pas d’un rejet abstrait du libre-échange mais s’explique parce que l’accord, dont les bénéfices agrégés sont modestes, impacte négativement certaines filières déjà sous pression. Les évaluations économiques montrent pourtant que l’accord pourrait avoir un bilan global légèrement positif pour l’économie française.
Légèrement positif car les propres évaluations de la Commission européenne convergent vers un gain macroéconomique plutôt limité : de l’ordre de + 0,1 % de PIB à long terme pour l’Union européenne, soit une dizaine de milliards d’euros par an. À l’échelle française, l’effet est donc bien positif mais marginal, loin des transformations structurelles souvent invoquées. En revanche, l’impact sectoriel est, lui, nettement marqué.
L’inquiétude légitime du monde agricole
Ainsi, dans l’agriculture, les lignes de fracture sont claires pour la France qui importe huit fois plus qu’elle n’exporte vers le Mercosur : 1 562 millions d’euros importés, 189 millions d’euros exportés en 2024, selon Eurostat. Certaines filières apparaissent gagnantes si l’accord entre en vigueur. Les vins et spiritueux bénéficieraient de la suppression de droits de douane actuellement compris entre 20 % et 27 %, ouvrant des débouchés jugés stratégiques par les exportateurs français dans un contexte de recul des ventes. Les produits agroalimentaires transformés et haut de gamme, notamment ceux protégés par des indications géographiques, profiteraient à la fois de la baisse des barrières tarifaires et de la reconnaissance juridique de leurs appellations sur les marchés sud-américains.
À l’inverse, l’élevage concentre l’essentiel des pertes potentielles. Les quotas d’importation accordés au bœuf, à la volaille et au porc du Mercosur, bien que limités en volume à l’échelle européenne, ciblent des segments de marché sensibles, où les écarts de coûts de production sont importants. Pour l’élevage bovin allaitant, déjà fragilisé économiquement, cette concurrence accrue est perçue comme une menace directe pour la pérennité des exploitations et des territoires ruraux qui en dépendent. La question des protéines végétales, notamment du soja sud-américain, renforce également les inquiétudes sur la dépendance extérieure et l’autonomie alimentaire (en 2024, 890,1 millions d’euros de nourriture pour animaux ont été importés).
L’industrie, l’aéronautique et le luxe seraient gagnants
Hors agriculture, le tableau est, en revanche, sensiblement différent. L’industrie manufacturière figure parmi les principales bénéficiaires. L’automobile, les équipements industriels, les machines-outils ou encore l’aéronautique profiteraient de la levée de droits de douane pouvant atteindre 35 % et d’un meilleur accès aux marchés publics du Mercosur. Pour ces secteurs, l’accord ouvre un marché de près de 300 millions de consommateurs, dans une région où l’Union européenne avait progressivement perdu du terrain face à la Chine.
Les services et le luxe apparaissent également gagnants. Les exportations françaises de services vers le Mercosur, déjà significatives, seraient facilitées par l’ouverture accrue des marchés financiers, numériques et de transport. Les groupes du luxe, de la cosmétique et de la mode bénéficieraient à la fois de la baisse des droits de douane et d’une protection renforcée de la propriété intellectuelle.
C’est précisément cette asymétrie entre les secteurs économiques qui nourrit le rejet français. Les gains, diffus et concentrés dans des secteurs exportateurs souvent urbains, s’opposent à des pertes très localisées dans l’agriculture, avec des conséquences sociales, territoriales et environnementales immédiates et potentiellement majeures. Si l’on raisonne en PIB, l’accord est bien légèrement positif, mais si l’on raisonne en cohésion territoriale et en modèle agricole, il apparaît, en l’état et en attendant de potentiels ajustements d’ici le mois prochain, profondément déséquilibré.