La Région Occitanie vient d’obtenir le statut de territoire d’expérimentation sur la gestion des ressources en eau, dans un contexte de dérèglement climatique. Eric Servat et Olivier Hébrard livrent leur point de vue, l’un confiant dans l’innovation, l’autre inquiet qu’on attende toujours plus des technologies.
« La vision dominante consiste essentiellement à aller prospecter toujours plus loin ou plus profond, ou avec plus de technologies »
Olivier Hébrard.
La tribune d’Olivier Hébrard, docteur en sciences de l’eau, agroécologiste : Oui, il faut s’inquiéter du manque d’eau, qui pourrait concerner de plus en plus de territoires. Plus encore, il faut s’inquiéter des vagues de chaleurs à venir qui vont avoir des effets de plus en plus délétères sur les cultures et nos milieux naturels. Et il est temps de cesser d’arrondir les angles ! Bien souvent sous prétexte de sauvegarde des emplois ou de l’économie locale, face au manque d’eau, la vision dominante consiste essentiellement à aller prospecter toujours plus loin ou plus profond, ou avec plus de technologies pour trouver de nouvelles ressources, sans nécessairement remettre en question le fonctionnement de nos systèmes urbains et agricoles qui font trop souvent partie du problème.
Repensons plutôt les paysages de manière à ralentir les cycles de l’eau douce. Par cette approche que l’on appelle aujourd’hui hydrologie régénérative, l’eau doit être ralentie dans les paysages, à la fois par une meilleure gestion des sols et de la végétation, notamment via l’agroécologie et l’agroforesterie, mais aussi par la mise en place d’aménagements adaptés. Cette solution éprouvée permet d’optimiser les ressources en eau au bénéfice des sols, de la végétation, des cultures mais aussi de la recharge des aquifères et du soutien des débits d’étiages des sources et des cours d’eau. Faut-il rappeler que favoriser l’infiltration de l’eau dans les aquifères est la meilleure manière de stocker de grandes quantités d’eau et de qualité ?

Les changements climatiques se caractérisent par une augmentation de la variabilité des précipitations, à la fois géographique mais aussi entre les années, avec une augmentation des évènements pluvieux extrêmes.
Les températures montrent quant à elles une augmentation progressive et généralisée, avec une accélération inquiétante depuis le milieu des années 2010. Par exemple, à la station météorologique de Nîmes-Garons, comme sur bien d’autres stations, s’il était courant avant les années 1960-1970 que les températures ne dépassent pas les 35 degrés certaines années, aujourd’hui le nombre de jours pour lesquels la température de 35° est dépassée semble s’envoler (28 jours en 2022 et 30 jours en 2025).
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Cette augmentation des températures se traduit par une augmentation de l’évapotranspiration, c’est-à-dire de l’évaporation des sols et de la transpiration des végétaux ; soit autant d’eau qui repart dans l’atmosphère et ne peut profiter directement à la recharge des nappes dans les aquifères. Sans parler des pointes thermiques des vagues de chaleurs estivales qui engendrent de plus en plus de dégâts sur les forêts et sur les cultures en raison du dépassement de certains seuils physiologiques des végétaux. Ainsi, l’augmentation globale de l’évapotranspiration, couplée à l’augmentation de la fréquence des événements pluvieux extrêmes qui favorisent le ruissellement au détriment de l’infiltration, de surcroît sur des sols souvent appauvris par plus de 2000 ans d’histoire d’occupation des sols, engendre inévitablement une moindre recharge de bon nombre d’aquifères. L’importante diversité de la géologie et des sols à l’échelle du Languedoc-Roussillon se traduit par une importante variabilité de l’amplitude de cette diminution de la recharge des aquifères, ce qui a et aura localement des impacts de plus en plus marqués sur les ressources en eau souterraine et sur de nombreuses sources et cours d’eau.
« La technologie permettra d’utiliser chaque goutte d’eau de manière optimale, allant ainsi vers l’inéluctable sobriété »

Eric Servat.
Midi Libre – MICHAEL ESDOURRUBAILH
Que nous dit la science ? Que le changement climatique dérègle en profondeur le cycle de l’eau, générant ainsi une forte irrégularité des précipitations ; que dans notre région le risque numéro 1 est désormais celui que représente la sécheresse combinée aux fortes chaleurs, ce qui réduit la disponibilité des ressources en eau.
Faut-il avoir peur ? Non, parce que si la peur est une émotion puissante, un signal d’alarme, elle ne doit être que temporaire. S’attarder sur la peur conduit au désespoir et à l’abandon. Elle ne doit servir qu’à nous stimuler pour trouver une issue et agir.
Peut-on être inquiet ? Oui, car il va falloir changer habitudes et pratiques, et qu’il n’est jamais simple de s’adapter. Mais la nouvelle donne du climat n’est ni la fin du monde ni la fin de l’humanité. Elle est le changement, la transformation, et donc l’action. Ce ne peut être une raison de désespérer, mais une invitation à aller de l’avant, à dépasser nos erreurs passées, à améliorer nos relations avec l’environnement. Sans pour autant renier ce qui fait l’humanité et sa quête de progrès. L’avenir c’est inventer et tracer des chemins inédits. Changer nos habitudes ne veut pas dire vivre plus mal, sauf à n’être qu’un échec. La lucidité quant aux difficultés à affronter ne saurait se traduire par un quelconque renoncement. Depuis toujours, les hommes se sont efforcés de maîtriser, de canaliser, d’utiliser l’eau. Pour ce faire, elle les a contraints à l’ingéniosité, mettant en exergue ce que l’humanité a de meilleur, la volonté de se dépasser et de relever les défis. A fortiori aujourd’hui au vu de ce qui conditionne l’avenir. Et nous avons des pistes pour avancer dans cette direction.
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La première consiste à redonner à l’eau la place centrale qu’elle n’aurait jamais dû quitter. De tout temps nos sociétés se sont construites autour de l’eau. Or, aujourd’hui, nous l’avons invisibilisée au propre, elle s’écoule dans des tuyaux enterrés, comme au figuré, accessible partout et tout le temps elle ne compte plus. Lui redonner de la considération est indispensable pour la préserver, l’économiser, et développer l’intelligence collective dont nous avons besoin, et qui doit rassembler tous les acteurs de l’eau (entreprises, agriculteurs, élus, associations, scientifiques, etc.) afin d’élaborer les nécessaires compromis à venir.
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La recherche d’une efficacité et d’une efficience maximales est également une voie à emprunter. La technologie nous y aidera et permettra d’utiliser chaque goutte d’eau de manière optimale, allant ainsi vers l’inéluctable sobriété. Sans oublier la restauration des réseaux d’adduction d’eau, coupables de fuites importantes, et les interconnexions.
La science et l’innovation, enfin, qui devront accompagner les nécessaires évolutions et adaptation de nos modèles agricoles, et qui nous permettent déjà aujourd’hui de mettre en œuvre des solutions existantes qu’il convient de considérer sans tabous et de développer en lien avec les conditions locales : réutilisation des eaux usées, stockages adaptés, transferts interbassins, recharge artificielle des nappes, dessalement de l’eau de mer, etc.
Nous avons donc les moyens de faire face aux changements et de travailler à l’indispensable adaptation. Résolument et avec conviction. Privilégions l’espoir, la raison et l’action. Comme disait Tocqueville : « Je vois bien ce qui est, je ne désespère pas de ce qui sera ».
