Et si la fin des Néandertaliens n’était pas due aux guerres, ni même au climat, mais à une incompatibilité cachée au cœur de leur sang ? C’est la piste fascinante qu’explorent aujourd’hui des chercheurs de l’Institut de médecine évolutive de Zurich. Selon leurs travaux récents, une simple variation dans un gène lié aux globules rouges – PIEZO1 – pourrait avoir provoqué une cascade d’événements biologiques fatals, freinant la reproduction des Néandertaliens au moment même où ils se mêlaient à nos ancêtres humains modernes. Cette hypothèse, publiée sur la plateforme scientifique bioRxiv, propose une lecture nouvelle et troublante d’un mystère vieux de 40 000 ans : pourquoi les Néandertaliens ont-ils disparu alors que nous avons survécu ?
Une alliance génétique vouée à l’échec
Il y a environ 45 000 ans, les Néandertaliens et les premiers Homo sapiens se sont rencontrés en Eurasie. Ils ont échangé bien plus que des outils et des territoires : ils se sont mélangés, laissant dans notre ADN moderne la trace de ces unions. Mais ce métissage n’a peut-être pas été sans conséquence. Les chercheurs suisses ont découvert que le gène PIEZO1, présent chez toutes les espèces humaines, existait sous deux formes : une version “ancienne”, héritée des grands singes et conservée chez les Néandertaliens, et une version “moderne”, propre à Homo sapiens.
Cette différence semble anodine, mais elle aurait modifié la manière dont l’hémoglobine transporte l’oxygène dans le sang. Chez les Néandertaliens, la version ancienne du gène retenait davantage l’oxygène, un avantage dans des environnements glacés et hostiles. À l’inverse, la version humaine permettait un transfert plus efficace vers les tissus, mieux adapté à des climats plus cléments. Tout se serait compliqué lorsque ces deux versions se sont retrouvées dans le même organisme, notamment chez les enfants issus de mères néandertaliennes et de pères humains modernes.
Quand l’oxygène devient poison
Les chercheurs suggèrent que cette différence génétique aurait pu perturber le fonctionnement du placenta, où s’effectue l’échange vital d’oxygène entre la mère et le fœtus. Si le sang de la mère contenait une hémoglobine trop avide d’oxygène, celui-ci aurait été moins bien transmis à l’enfant à naître. Résultat : hypoxie fœtale, retard de croissance, voire fausse couche.
L’effet ne serait pas apparu dans toutes les unions, mais dans un scénario très précis : celui où une femme hybride, issue d’une mère néandertalienne, se serait accouplée avec un homme Homo sapiens ou un autre hybride. Dans ce cas, l’incompatibilité génétique aurait pu réduire drastiquement les chances de survie des descendants. Au fil des générations, cette barrière invisible aurait freiné la transmission de l’ADN néandertalien, affaiblissant la population de l’intérieur. Comme le résume l’équipe de Patrick Eppenberger, « l’incompatibilité PIEZO1 aurait pu accélérer la disparition des Néandertaliens en érodant leur capacité de reproduction à chaque interaction avec les humains modernes ».
Source: DRCrédits : gorodenkoff/istockUne extinction par “rouille génétique”
Cette hypothèse va à l’encontre de l’image spectaculaire d’une extinction brutale. Il ne s’agirait pas d’une catastrophe unique, mais d’un lent processus biologique, comparable à la rouille qui fragilise une structure sans qu’on s’en aperçoive. Les croisements entre Néandertaliens et humains auraient donc provoqué, non pas une fusion bénéfique, mais une désintégration progressive de la lignée néandertalienne, incapable de maintenir son équilibre génétique face à la pression du métissage.
L’archéologue April Nowell, de l’Université de Victoria, souligne l’ironie du sort : la mutation qui avait autrefois permis aux Néandertaliens de survivre dans le froid aurait fini par causer leur perte. John Hawks, anthropologue à l’Université du Wisconsin, note pour sa part que cette hypothèse rappelle d’autres incompatibilités génétiques observées chez l’homme moderne, comme le facteur Rh, qui peut provoquer des complications lors de grossesses. Autrement dit, il n’est pas invraisemblable qu’un simple désaccord moléculaire ait joué un rôle décisif dans le destin d’une espèce entière.
Un mystère encore ouvert
Pour autant, personne ne prétend que PIEZO1 soit “le” gène de la disparition néandertalienne. Les chercheurs insistent : la fin des Néandertaliens fut probablement multifactorielle, mêlant changements climatiques, compétition pour les ressources et métissages compliqués. Mais l’idée d’une incompatibilité materno-fœtale ajoute une dimension biologique fascinante à ce récit. Elle suggère que l’extinction n’est pas toujours une affaire de force ou d’intelligence, mais parfois le fruit d’une simple faille dans la mécanique du vivant.
Chaque avancée génétique nous rapproche un peu plus d’une compréhension complète de cette disparition. Peut-être découvrirons-nous, dans d’autres régions du génome, des “zones grises” similaires où les deux humanités – la nôtre et celle des Néandertaliens – ne pouvaient coexister sans se nuire. En attendant, cette étude nous rappelle que l’évolution n’a pas toujours besoin d’un cataclysme pour trancher : parfois, une incompatibilité microscopique suffit à changer la face du monde.