« L’évaluation des rapports de force entre l’Europe et la Russie confirme une confrontation multidimensionnelle appelée à perdurer à court, moyen et long terme » soulignent à ce sujet les chercheurs de l’Institut français des relations internationales (Ifri) dans une étude publiée il y a quelques semaines. Et ceux-ci d’enfoncer le clou : « La Russie se prépare effectivement à assumer une forme d’affrontement militaire avec des membres de l’Otan. Si la durée réaliste nécessaire à la réalisation de cet objectif fait l’objet d’un vif débat, personne ne remet en question la préparation de la Russie à la guerre ».

Les chercheurs de l’Ifri se sont donc penchés concrètement sur l’état des forces en présence.

Bart De Wever obtient une victoire au sommet européen, avec l’abandon du plan pour renflouer l’Ukraine avec les actifs russes immobilisés dans l’UE1. Forces terrestres

Les forces terrestres russes comptent actuellement environ 550 000 soldats auxquels il faut ajouter 45 000 parachutistes, 10 000 fusiliers marins et 340 000 à 440 000 soldats issus de la garde nationale. Au total, les troupes russes pourraient donc atteindre jusqu’à 950 000 soldats.

En comparaison, les effectifs terrestres des pays européens de l’Otan (hors Turquie) atteignent 750 000 soldats. Cet écart est d’autant plus frappant si l’on prend en compte la disponibilité effective : tandis que la Russie a démontré en Ukraine son aptitude à ponctionner une portion significative de sa structure de force (jusqu’à environ 60 %), il est douteux que les forces européennes présentent une telle disponibilité politique, stratégique et opérationnelle.

Vingt pays membres de l’Otan (et de l’UE) sur trente-deux disposent de volumes de forces terrestres professionnelles inférieurs à 15 000 soldats. En cas d’opération majeure, le gros des effectifs terrestres devrait ainsi être fourni par seulement six pays (la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Pologne, l’Italie et l’Espagne).

En matière d’équipement, les armées européennes sont sous-dotées et ont largement compté jusqu’ici sur les achats d’armes aux États-Unis. La première lacune concerne la puissance de feu, notamment l’artillerie canons et roquettes, ainsi que des drones de frappe. Seule une poignée de pays en Europe (la Pologne, la Roumanie et les États baltes) tentent actuellement d’y remédier. Il manque, enfin, aux Européens davantage de capacités de renseignement et de surveillance. Mais les forces européennes devraient, en revanche, bénéficier d’un avantage qualitatif grâce à leur maîtrise de la tactique interarmes et à la qualification de leur personnel de tous niveaux.

« Le missile le plus performant de tous les temps » sera livré à l’Ukraine en 20262. Forces aériennes, navales et spatiales

En matière de puissance aérienne, les alliés de l’Otan, même si l’on ne considère que les pays européens, affichent une nette supériorité face à la Russie, aussi bien quantitative que qualitative, disposant de plus de 1 500 avions de combat, contre moins d’un millier. Certes, la flotte européenne d’avions de chasse sera réduite d’au moins 20 % sur la décennie à venir, mais son avance technologique devrait considérablement augmenter avec le remplacement des appareils de 4e génération (F-16, Su-27, etc.) par des avions de générations dits « 4.5 » et « 5 » (Rafale et Gripen pour les premiers et F-35 pour les seconds).

Même avantage qualitatif et quantitatif indiscutable dans le domaine naval avec plus d’une centaine de grands bâtiments de surface, soit trois fois plus que la marine russe. Toutefois, la géographie du théâtre d’opérations permet difficilement de faire de cette supériorité un atout décisif. La Russie est entourée de quelques mers étroites qui s’avéreraient dangereuses à approcher pour ses adversaires. Dans le domaine spatial, le rapport de force est nuancé, juge l’Ifri.

Comment le Covid et la guerre ont changé Vladimir Poutine et sa garde rapprochée3. Armement nucléaire

La Russie ne manque jamais une occasion de rappeler son statut de superpuissance nucléaire, disposant d’environ 1 700 têtes nucléaires stratégiques déployées et d’environ 2 600 en réserve. Son approche, fondée sur une rhétorique atomico-apocalyptique extrêmement agressive et sur des actions concrètes beaucoup plus modérées, vise à amplifier l’effet des menaces à l’encontre d’un Occident considéré comme faible et divisé, tout en évitant une escalade nucléaire incontrôlée. Mais cette doctrine est en train d’évoluer.

À l’heure actuelle, les postures de dissuasion américaines (1770 têtes nucléaires déployées), françaises (280) et britanniques (120) ont pour effet de protéger l’Europe des intimidations et du chantage nucléaire russe. Si la crédibilité de la dissuasion élargie des États-Unis venait à être sérieusement mise à mal, l’Europe souffrirait d’un déséquilibre.

Joseph Henrotin : « Voilà… La Russie ne peut pas gagner »4. Industrie et investissements

Les dépenses russes liées à la défense n’ont cessé d’augmenter, passant de 3,5 % du PIB en 2021 à plus de 6,6 % en 2025, ce qui représente plus d’un tiers du budget fédéral. Si, en termes absolus, ces montants ont été estimés en 2024 à environ 145 milliards de dollars, en termes de parité de pouvoir d’achat avec l’Occident, ces dépenses s’élevaient plutôt à 460 milliards de dollars, un chiffre relativement équivalent aux dépenses militaires cumulées des alliés européens de l’Otan cette même année.

Sur le plan industriel, la Russie est toutefois parvenue à augmenter radicalement sa production d’obus (passant de 250 000 projectiles de 152 millimètres en 2022 à plus de 1,3 million en 2024), mais aussi de drones (plus d’un million en 2024). La production de missiles de croisière a quant à elle doublé voire triplé selon les modèles. L’industrie européenne, de son côté, a eu du mal à répondre à un changement de philosophie en faveur de plus de quantité, plus rapidement, de qualité « suffisante », là où elle avait misé depuis des décennies sur des armes de haute technologie, taillées sur mesure pour un besoin limité.

Retrouvez mardi et mercredi les volets 2 (politique et société) et 3 (alliances internationales) de cette série sur le rapport de force entre l’Europe et la Russie.