En Ukraine, aucune statistique officielle ne répertorie les suicides de militaires. Alors que les autorités parlent de cas isolés, les proches des défunts, soutenus par des associations de défense des droits humains, affirment qu’ils pourraient se compter par centaines. Mais le sujet reste tabou dans le pays, qui a perdu au moins 45 000 hommes et femmes au combat, raconte une enquête de la BBC, pour laquelle des familles ont accepté de témoigner anonymement.

Absence de reconnaissance

« Orest était un jeune homme discret de 25 ans qui aimait les livres et rêvait d’une carrière universitaire. Sa mauvaise vue l’avait initialement rendu inapte au service militaire, relate la BBC. Mais en 2023, une patrouille de recrutement l’a interpellé dans la rue. Sa vue a été réévaluée et il a été déclaré apte au combat. Peu après, il a été envoyé au front comme spécialiste des transmissions. »

Le centre de recrutement de l’armée nie avoir trafiqué l’examen de la vue d’Orest, et affirme qu’il était « partiellement apte » à combattre. Déployé près de Chasiv Yar, dans la région de Donetsk, à l’Est de l’Ukraine. Affichant des symptômes de dépression de plus en plus marqués, se renfermant sur lui-même, il est mort la même année sur le front de l’Est. Orest est décédé d’une « blessure auto-infligée », selon l’enquête de l’armée.

« [Sa mère] écrit encore chaque jour à son fils – 650 lettres à ce jour –, et son chagrin est exacerbé par la façon dont l’Ukraine considère le suicide comme une perte non liée au combat, poursuit la BBC. Les familles de ceux qui se suicident ne reçoivent aucune compensation, aucun honneur militaire ni aucune reconnaissance publique. »

Décès suspects

Le mari de Mariyana, Anatoliy, s’est engagé volontairement dans l’armée en 2022. Initialement recalé par manque d’expérience, il a insisté jusqu’à être déployé à Bakhmout, théâtre de l’une des batailles les plus féroces du conflit, en tant que mitrailleur. Après avoir perdu au combat une cinquantaine de frères d’armes et une partie de son bras, il est devenu un autre homme. Alors qu’il recevait des soins, il a mis fin à ses jours dans l’enceinte de l’hôpital.

« La guerre l’a brisé. Il ne pouvait pas vivre avec ce qu’il avait vu, témoigne sa veuve. Quand il était en première ligne, il était utile. Mais maintenant, ce n’est plus un héros. L’État m’a abandonnée au bord de la route. Je leur ai livré mon mari, et ils m’ont laissée seule, sans rien. »

Anatoliy n’a pas eu droit à des funérailles militaires, et Mariyana a même subi la stigmatisation de femmes de soldats tombés sur le champ de bataille. Elle a trouvé du réconfort auprès d’Oksana Borkun, qui dirige une communauté de soutien pour les veuves de militaires, et comptabilise environ 200 familles de soldats affectées par un suicide.

« Les familles ont droit à la vérité, déclare la commissaire ukrainienne aux droits des anciens combattants Olha Reshetylova. Elles ne font pas confiance aux enquêteurs. Dans certains cas, les suicides peuvent dissimuler des meurtres. »