Par

Sophie Quesnel

Publié le

22 déc. 2025 à 7h20

Établissement unique en France, en grande partie enterré sous le niveau de la mer, le Centre International de Deauville (Calvados) se dévoile que rarement autrement que par son auditorium et ses tapis rouges. Nous avons eu le privilège d’en visiter les coulisses avec Joël, coordinateur technique. Reportage dans un vaisseau de béton suspendu par des câbles, entre cathédrale de gaines et souvenirs de stars.

Plonger dans les entrailles du CID, c’est un peu comme découvrir l’envers du décor d’un théâtre à l’italienne, version « blockbuster » technique. Sous la verrière lumineuse qui domine le front de mer, se cache un monstre de béton, d’acier et d’ingéniosité, unique en France.

Un bâtiment si atypique qu’il défie les règles, les normes, et même l’imagination.

Un bâtiment, littéralement, hors-norme

Imaginez : 18 000 m² accessibles au public, 38 000 m² si l’on compte les locaux techniques. Trois niveaux, dont le premier est déjà sous le niveau de la mer.

Ici, à Deauville, le CID n’est pas qu’un palais des congrès : c’est une cuve en béton, ancrée dans le sol comme un navire amarré, soutenue par 180 haubans enfoncés à 40 mètres de profondeur. « Une cuve en béton, comme un pont à l’envers » résume Joël, le coordinateur technique, qui veille sur ce « bébé » depuis sa construction en 1992.

Pourquoi une telle folie ? Parce qu’à l’époque, les règles n’interdisaient pas encore les ERP (Établissements recevant du public) souterrains. Aujourd’hui, ce serait impossible : « Un ERP à cette profondeur est désormais prohibé », confirme Joël. Le CID est donc le seul et restera unique. « Un défi permanent » ajoute-t-il, un sourire en coin. Car maintenir en état un bâtiment semi-enterré, c’est comme soigner un patient sous perfusion : il faut surveiller la pression des sols, l’étanchéité des parois moulées, et les 17 centrales de traitement d’air qui brassent jusqu’à 50 000 m³ d’air par heure.

Cuve CID
Une cuve en béton, ancrée dans le sol comme un navire amarré, soutenue par 180 haubans enfoncés à 40 mètres de profondeur. ©S.Q.L’architecte visionnaire : Patrick Le Goslès

Si le CID est une prouesse, c’est d’abord grâce à l’audace de son architecte, Patrick Le Goslès choisi en 1988 par un jury de Deauvillais et de professionnels. À l’époque, le projet était révolutionnaire : un palais des congrès semi-enterré, inspiré des convention centers américains, mais adapté aux contraintes géologiques locales. « En 1992, c’était de la science-fiction » raconte Joël. « Aujourd’hui, on chauffe encore le bâtiment avec la chaleur de la piscine olympique voisine, et les mêmes machines servent à la fois pour le chauffage et le désenfumage en cas d’incendie. »

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Le Goslès a imaginé un bâtiment « cathédrale », où les réseaux de chauffage et de climatisation s’enchevêtrent comme des lianes dans une jungle technique. « Nous avons des machines empilées sur trois niveaux, avec des gaines grandes comme des tunnels », décrit Joël. « Pour changer un moteur de 400 kg, il faut démonter des parois, slalomer entre les tuyaux, et prier pour ne pas se perdre ». Car oui, ici, on se perd. Même les habitués.

La maintenance : une symphonie parfois dissonante

Avec seulement deux personnes en équipe interne et une quarantaine de prestataires, la maintenance du CID relève de l’exploit quotidien. « Nous sommes des couteaux suisses » s’amuse Joël. « Un jour, on répare un nez de marche cassé, le lendemain, on supervise le remplacement d’une centrale climatique. »

Les défis ? Ils sont légion. L’étanchéité par exemple, pas une goutte d’eau ne doit passer, malgré les pressions du sol et des marais environnants. Le bruit aussi, rien ne doit filtrer à l’extérieur. Quand les machines tournent, c’est comme si elles chuchotaient. « Sans oublier l’espace, chaque mètre carré coûte 10 000 €. On stocke du matériel dans des réserves sans lumière, accessibles par des échelles de chantier. »

Et puis, il y a l’émotion. Celle de Joël, qui a travaillé sur le chantier en 1991 avant de devenir le gardien du temple. « J’ai vu passer Kirk Douglas, John Travolta, Morgan Freeman… Des stars, mais aussi des anonymes émus aux larmes lors d’un concert. » Le CID, c’est aussi ça : un lieu où la technique sert l’art, où le béton rencontre l’émotion.

Entreposage CID
Entreposer le matériel nécessite des dizaines d’espaces savamment orchestrés. ©Sophie QUESNELUn lieu unique, un héritage à préserver

Trente ans après son inauguration, le CID reste un ovni architectural. « On a failli voir trop grand » confiait un jour l’architecte à Anne d’Ornano, lors de l’inauguration de l’auditorium. « Aujourd’hui, on se dit qu’on a vu trop petit. » Avec ses 1 497 places et non 1 500, « pour des raisons techniques », ses halls modulables, et ses coulisses dignes d’un paquebot, le CID est bien plus qu’un palais des congrès : c’est un symbole.

Un symbole de l’audace normande, de l’innovation à la française, et de ces lieux qui, contre vents et marées (littéralement), continuent de faire rêver. « Ici, on est fous », disait l’architecte en 1992. Trente ans plus tard, cette folie a un nom : le CID.

Le CID, ou l’art de réinventer sans oublier

Le CID, c’est bien plus qu’un palais des congrès. C’est un symbole de l’audace, celle d’avoir construit un bâtiment unique, malgré les contraintes. De la résilience, celle de le faire vivre, année après année, malgré les défis techniques. De l’humain, car derrière les machines, les chiffres, et les projets de réorganisation, il y a « des hommes et des femmes qui font tourner la machine. »

Alors, la prochaine fois que vous assisterez à un concert ou à un congrès au CID, souvenez-vous : « derrière chaque note, chaque mot, chaque détail technique, il y a une histoire. » Celle d’un lieu qui, comme toute organisation, doit sans cesse « se réinventer sans oublier ce qui fait son âme. »

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