Cette journée s’adresse aux professionnels du livre – libraires, médiathécaires, bibliothécaires… -, mais aussi étudiants et curieux désireux de comprendre ce qui fait la singularité d’un livre de photographie, et comment l’accompagner vers ses lecteurs.

Éric Le Brun, fondateur de Light Motiv en 2011 et lui-même photographe, résume l’enjeu sans détour : face au livre de photographie, les passeurs du livre sont parfois… démunis. Et dans un monde saturé d’images, cet objet exigeant – lent, tactile, narratif – peut devenir un antidote. 

« Ce n’est pas un livre seulement avec des photographies »

France PhotoBook, association dont il est un membre actif, part d’un constat : on continue trop souvent à ranger le livre de photographie du côté du livre d’art ou du « beau livre », catégorie pratique, mais réductrice. Or, explique Éric Le Brun, la colonne vertébrale d’un photobook n’est pas la décoration, ni l’illustration. « C’est un récit conduit par la photographie, avec un début, un suspens et une fin. »

Ce récit peut accueillir d’autres matières (texte, dessin, archives), mais il est mené par l’image : c’est elle qui pense, qui relie, qui crée des reprises, des silences, des accélérations. « Ce n’est pas de l’illustration d’un texte avec des photographies. Ce n’est pas un catalogue non plus et ce n’est pas non plus un portfolio. »

Le séquençage, le rythme des doubles pages, les respirations, les échos, les séquences : tout cela compose une narration spécifique. « On est vraiment là pour créer, entre l’auteur, l’éditeur et souvent le design graphique, un objet à l’intérieur duquel va se dessiner une histoire », développe Éric Le Brun, et de constater : « Ce qui est fascinant, c’est que l’histoire ne relève pas seulement de la logique : elle est aussi intuitive, analogique, presque onirique. »

Une école de lenteur

Il y a également un rapport au temps qui entre en jeu : « Il y a une forme de ralentissement. On n’est pas simplement en train de feuilleter. Il faut creuser chaque endroit, chaque image. Il faut aussi se laisser faire, prendre le temps. » Cette approche prend tout son sens face au flux continu des images. « Mettre l’intelligence photographique en face, espérer qu’elle soit une forme de contrefeu, d’antidote. »

Plus généralement, pour Éric Le Brun, le livre photo constitue un espace de recherche, « un laboratoire, un terrain d’expérience graphique dans lequel on essaie d’accorder le mieux possible le contenu à la forme ». Papier, reliure, couverture ou rythme des pages composent autant d’indices qui guident la lecture : « Le design permet de toucher un livre et de deviner ce qu’il y a dedans. »

D’où une circulation plus aisée du livre de photographie au-delà des frontières : « Il n’a presque pas besoin d’être traduit. Quelqu’un d’un autre pays peut comprendre, ou en tout cas ressentir instantanément ce que le photographe et l’éditeur peuvent dire. » Sur les salons, cette dimension se vérifie concrètement : « On voit beaucoup d’étrangers aussi, de jeunes étudiants », attirés par une forme de récit visuel immédiatement accessible, témoigne l’éditeur.

Arles Book Fair. Éric le Brun.
Salon Unseen (Amsterdam). © Éric Le Brun.

Une association d’éditeurs pour « avoir un levier d’action »

France PhotoBook s’est constituée au tournant des années 2020, avec l’ambition de fédérer des éditeurs indépendants de photographie, afin de peser collectivement dans la reconnaissance d’un métier, d’un champ éditorial et d’un réseau.

Elle regroupe aujourd’hui 30 maisons d’édition réparties sur tout le territoire, porte une revue annuelle à destination des libraires pour promouvoir l’édition photographique, organise depuis 2023 le Prix des libraires du livre de photographie, et réunit chaque année, depuis 2022, éditeurs et acteurs du livre de photographie d’une vingtaine de pays, à Arles.

« Nous nous réunissons en bureau chaque semaine depuis longtemps, ce qui nous a permis de définir des objectifs clairs et des méthodes de travail par commission », nous explique Éric le Brun. 

L’un des objectifs de l’association est désormais prioritaire : travailler avec celles et ceux qui mettent les livres entre les mains du public. Le constat est sans appel : « Économiquement, on ne tient pas la route. Il y a pour l’instant un public en librairie trop réduit pour que nos ouvrages puissent être rentabilisés uniquement par la vente en librairie. »

Là où ça coince et là où tout peut changer

Le point de départ est à la fois simple et vertigineux : le public existe, « on le voit », mais la présence du livre photo reste faible dans les lieux de prescription du quotidien. L’association constate : depuis 2020, le nombre de livres de photographie augmente, mais la visibilité en librairie et en médiathèque ne suit pas.

Les salons jouent leur rôle, mais ils restent des pics, comme Paris ou Arles, et ne remplacent pas un tissu régulier de découverte. « On remarque depuis une dizaine d’années un rajeunissement très fort des gens qui viennent sur les salons. On voit aussi beaucoup d’étrangers, de jeunes étudiants. La question, c’est : où peuvent-ils aller en dehors des salons ? »

Il constate : hors des grands centres, les librairies photo sont rares, et l’accès physique à l’offre devient un problème culturel. « En province, il n’y a qu’une librairie intégralement photo. Tu peux te trouver dans une région où, à 200, 300 ou même 400 kilomètres, il n’y a pas de rayon photographique. » Résultat : on achète en ligne, et on découvre moins. « Sur internet, ce sont des gens qui connaissent déjà grosso modo ce qu’ils veulent acheter. Ce qui nous manque, ce sont des lieux où les ouvrages peuvent être découverts, posés sur la table. »

L’éducation à l’image

C’est là que France PhotoBook cible naturellement libraires et bibliothécaires, courroies de transmission essentielles, mais pas toujours outillées pour parler de ce type d’objet. « Sur leur parcours initial, il y a peu d’éducation à l’image. Face au livre de photographie, souvent, les libraires et les médiathécaires peuvent être démunis parce qu’ils ne savent pas en parler, le résumer et le transmettre. Tu peux arriver à devenir libraire sans avoir jamais rencontré la photographie. »

L’association agit aussi en amont, auprès des formations. « On essaie d’intervenir de plus en plus dans les filières diplômantes pour des libraires ou pour des médiathécaires », explique Éric Le Brun, tout en reconnaissant : « C’est assez difficile de trouver notre place dans les cursus. »

Le Prix des libraires, aussi, constitue un outil de familiarisation au livre de photographie. Le jury est constitué chaque année de quinze libraires français. « Ils auront chaque année entre les mains une trentaine de livres de photographie, qu’ils pourront appréhender en profondeur. C’est une sorte de formation continue. »

Face à ce manque de points d’entrée, France PhotoBook réfléchit aussi à des actions de « surdiffusion » : présenter plusieurs maisons d’édition sur des territoires moins parcourus par les circuits habituels, pour créer des occasions de rencontre et de découverte au plus près des lecteurs.

Arles Books Fair. Éric le Brun.
Salon Polycopies (Paris). © Éric Le Brun.

Une journée pour « enlever le couvercle »

C’est dans le prolongement des rencontres menées auprès des libraires, bibliothécaires et médiathécaires que France PhotoBook organise à Amiens sa première Journée de sensibilisation au livre de photographie. 

Le programme assume une forme très concrète : montrer des livres, les faire circuler, entendre celles et ceux qui les fabriquent, les conservent et les défendent. « L’idée, c’est de rendre beaucoup plus concret ce qui guide un éditeur et des auteurs vers la conception du livre, l’objet, la narration photographique : enlever le couvercle. »

La matinée se déroulera à la Bibliothèque Louis Aragon, puis l’après-midi au Musée de Picardie, à quelques pas, avec un temps de clôture convivial. Du récit au papier, de la collection à la diffusion, cette journée réunira des acteurs majeurs du secteur, parmi lesquels Anne Lacoste, directrice de l’Institut pour la Photographie, Héloïse Conesa, cheffe du service de la photographie à la BnF, ainsi que des éditeurs, libraires et bibliothécaires engagés dans la reconnaissance de ce champ éditorial.

Les échanges aborderont notamment la construction du récit photographique, ou encore la fabrication du livre comme objet, les enjeux de collection et de médiation, avant de se concentrer sur la diffusion et la prescription auprès des publics. 

Le choix d’Amiens pour inaugurer cette journée ne doit rien au hasard. Il tient à l’implication de l’AR2L Hauts-de-France, à l’ancrage des Bibliothèques d’Amiens Métropole, dirigées par Laëtitia Bontan, et au partenariat avec le Musée de Picardie. Une première étape, avant d’autres rendez-vous envisagés dès 2026, en lien avec différents territoires et structures partenaires. L’organisation de l’événement est coordonnée par Emmanuelle Hascoët et Salambô Goudal, de France PhotoBook.

Un travail au long cours, pour rapprocher le livre de photographie de ses lecteurs présents et futurs, comme de ses passeurs.

Voici le lien pour s’inscrire à la première Journée de sensibilisation au livre de photographie.

Ci-dessous, le programme détaillé :

Crédits photo : Arles Books Fair. © Patrick le Bescont.

Par Hocine Bouhadjera
Contact : hb@actualitte.com