- Les députés algériens ont adopté à l’unanimité une loi faisant porter à l’État français « la responsabilité juridique de son passé colonial en Algérie et des tragédies qu’il a engendrées ».
- « Essais nucléaires », « exécutions extrajudiciaires », « pratique de la torture physique et psychologique » à large échelle et « pillage systématique des richesses » sont désormais des crimes jugés imprescriptibles.
- La France a regretté une « initiative manifestement hostile ».
Elle avait été mise sur la table à plusieurs reprises depuis les années 1980, sans aboutir jusqu’ici. Les députés algériens ont adopté à l’unanimité, mercredi 24 décembre, une loi criminalisant la colonisation française (1830-1962) et réclamant à la France « des excuses officielles ». Écharpe aux couleurs du drapeau algérien autour du cou, les parlementaires se sont levés et ont applaudi le passage du texte qui fait porter à l’État français « la responsabilité juridique de son passé colonial en Algérie et des tragédies qu’il a engendrées ».
Il liste les « crimes de la colonisation française », jugés imprescriptibles : « essais nucléaires », « exécutions extrajudiciaires », « pratique de la torture physique et psychologique » à large échelle et « pillage systématique des richesses ». La loi stipule qu' »une indemnisation complète et équitable pour tous les dommages matériels et moraux engendrés par la colonisation française est un droit inaliénable pour l’Etat et le peuple algériens ».
Vers une décontamination des sites des essais nucléaires ?
Selon le texte, l’État algérien doit réclamer à la France qu’elle décontamine les sites des essais nucléaires. Entre 1960 et 1966, la France a procédé à 17 essais sur plusieurs sites dans le Sahara algérien. Le texte qualifie également de « haute trahison » la « collaboration des harkis », le nom donné aux auxiliaires algériens de l’armée française, et prévoit de punir toute personne faisant l’apologie ou justifiant la colonisation.
Ce vote pourrait exacerber les tensions entre deux pays déjà en crise à la suite de la reconnaissance à l’été 2024 par la France d’un plan d’autonomie « sous souveraineté marocaine » pour le Sahara occidental. Plusieurs épisodes ont depuis aggravé les tensions, comme la condamnation et l’incarcération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, finalement gracié à la faveur d’une intervention allemande. Le journaliste français Christophe Gleizes purge actuellement une peine de 7 ans de prison après sa condamnation en appel en décembre.
« Initiative manifestement hostile »
Cette loi à forte portée symbolique pourrait toutefois avoir un impact réel limité sur les revendications de réparations. « Juridiquement, cette loi n’a aucune portée internationale et ne peut donc obliger la France », a commenté pour l’AFP Hosni Kitouni, chercheur en histoire de la période coloniale à l’université britannique d’Exeter. Mais « elle marque un moment de rupture dans le rapport mémoriel avec la France », a-t-il estimé.
L’adoption de cette loi est « une initiative manifestement hostile, à la fois à la volonté de reprise du dialogue franco-algérien, et à un travail serein sur les enjeux mémoriels », a réagi mercredi le ministère français des Affaires étrangères, cité par l’AFP. Le porte-parolat du Quai d’Orsay a souligné que la France n’avait « pas vocation à commenter la politique intérieure algérienne », mais ne pouvait que déplorer une telle initiative, relevant « l’ampleur du travail engagé par le président » Emmanuel Macron s’agissant de la mémoire de la colonisation au travers d’une commission mixte d’historiens français et algériens.
« Nous continuons de travailler à la reprise d’un dialogue exigeant avec l’Algérie, qui puisse répondre aux intérêts prioritaires de la France et des Français, en particulier s’agissant des questions sécuritaires et migratoires », a ajouté néanmoins le ministère.
Lire aussi
« Pour une maman, c’est terrible » : la mère de Christophe Gleizes en appelle à l’humanité du président algérien
La question de la colonisation française en Algérie est un sujet très sensible, qui demeure l’une des principales sources de tensions entre les deux pays. La conquête de l’Algérie, à partir de 1830, a été marquée par des tueries massives et la destruction de ses structures socio-économiques ainsi que par des déportations à grande échelle selon des historiens. De nombreuses révoltes ont été réprimées avant une sanglante guerre d’indépendance (1954-1962) qui a fait 1,5 million de morts algériens selon l’Algérie, 500.000 dont 400.000 Algériens selon les historiens français.
En 2017, Emmanuel Macron, alors candidat à la présidentielle française, avait parlé de « crime contre l’humanité ». « Ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes », avait-il dit. Après la publication d’un rapport de l’historien français Benjamin Stora en janvier 2021, le chef de l’État s’était engagé à des « actes symboliques » pour tenter de réconcilier les deux pays, mais en excluant cette fois des « excuses ». Il avait ensuite provoqué un tollé en Algérie en s’interrogeant selon le journal Le Monde sur l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation.
D.D.F. avec AFP
