FIGAROVOX/TRIBUNE – Alors qu’Israël va déployer, à la fin de l’année, un système laser à haute énergie, Bernard Lavarini, concepteur de la première arme laser française, estime que la recherche dans le domaine stratégique est à un tournant, avec l’arrivée de ces nouvelles armes dans les conflits armés.

Bernard Lavarini, est le concepteur de la première arme laser française. Il a été l’un des experts pour les questions de défense auprès du premier ministre de 1997 à 2002.

Aujourd’hui, le développement de l’arme laser est en phase finale. Il en est ainsi en Israël avec le Iron beam. Aux États-Unis, l’US Army, avant la production en masse, teste son endurance dans les conditions opérationnelles du champ de bataille. En Chine, le défilé impressionnant du 3 septembre 2025 montra des véhicules dotés d’arme laser. Enfin, en Ukraine, des armes anglaises, françaises (Cilas), russes sont testées contre les drones, certaines contre les roquettes Katyousha et autres obus. À 1$/tir laser comparé aux 100 000 $/missile, on comprend qu’une rupture stratégique s’annonce dans la défense aérienne.


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Mais le laser est aussi crucial dans la grammaire de la dissuasion nucléaire. Pourquoi les Américains s’acharnent à vouloir acquérir une force stratégique destinée à contrer les missiles balistiques, hypersoniques ou de croisières, porteurs d’armes nucléaires, où le laser jouerait un rôle décisif ? Selon le général Guetlein de l’US Space Operations, cela représente un effort équivalent au projet Manhattan. Cette force est justifiée pour rééquilibrer la dissuasion des États-Unis face à la Chine qui s’arme au galop, et devrait même lui donner un avantage stratégique. En effet, le bouclier engendrerait une dissuasion par empêchement cumulable avec la dissuasion par représailles opérées par le glaive nucléaire. Ainsi dotés, les États-Unis pourraient être en situation de pouvoir prendre une initiative stratégique de détruire, par une attaque surprise, la quasi-totalité des missiles ICBM (Intercontinental ballistic missile) chinois enfouis dans les silos de Yumen, Hami, Yulin, les bases de Neixang des bombardiers H-6N et d’Yalong des sous-marins, avec leur antiforce dotée des nouveaux missiles balistiques sol-sol intercontinental LGM-35 Sentinel. Ils devraient atteindre leur cible en Chine avec un écart circulaire probable inférieur à 90 mètres, sans passer au-dessus de la Russie.

Connaissant l’efficacité du bouclier américain, la Chine pourrait alors hésiter à tirer en représailles vers les États-Unis ses missiles embarqués dans les sous-marins Jin, car elle sait qu’ils disposeraient encore, en plus du bouclier, de tous les missiles SLBM (Submarine Launched Ballistic Missile) embarqués dans les 9 sous-marins Ohio de la flotte du Pacifique, capables de neutraliser cette fois 500 millions de Chinois avec leurs 360 mégatonnes équivalentes de TNT (soit près de 20 fois les capacités de destruction de la Seconde Guerre mondiale). La Chine qui s’est donnée comme objectif de redevenir, en 2049, la première puissance mondiale, pourrait alors être soumise à un chantage nucléaire de la part des États-Unis comme je l’écris dans mon livre L’Occident sur le Qui-vive ! (L’Harmattan 2025).

Aux États-Unis, les recherches se sont accrues pour réaliser un bouclier antimissile doté de 3 couches d’intercepteurs pour atteindre une efficacité globale de plus de 99% face à une attaque de missiles.

Bernard Lavarini

Dans cette perspective, aux États-Unis, les recherches se sont accrues pour réaliser un nouveau bouclier antimissile doté de 3 couches d’intercepteurs qui, avec une efficacité de neutralisation de 80% par couche, permettrait d’atteindre une efficacité globale de plus de 99% face à une attaque de missiles qui surviendrait à partir des arsenaux actuels. Pour que le bouclier atteigne cette efficacité, il ne s’agit plus de vouloir neutraliser l’ogive manœuvrante, furtive, au milieu de leurres, au-dessus des États-Unis, mais d’attaquer, d’abord, depuis l’espace, les missiles porteurs des ogives au cours de leur phase ascendante, au-dessus du territoire ennemi. En abattant le missile, il en résulterait l’annihilation de toutes ses ogives. Durant la phase ascendante, le missile, lent, plus gros que les ogives, émet une forte signature thermique ce qui le rend plus facile à détecter par les radars UEWR (Upgraded Early Warnings Radars) et les nouveaux satellites SBIRS (Space-based Infrared System) capables à la fois de balayer de vastes étendues et se focaliser sur une zone particulière afin de donner l’alerte en une fraction de seconde. Puis, la constellation de satellites HBTSS (Hypersonic and Ballistic Tracking Space Sensor) en orbite basse se chargerait de la poursuite des missiles. C’est alors que les 24 forteresses laser dit à solide de la première couche, positionnées sur 4 orbites polaires, engageraient le feu laser dans la gamme de puissance mégawattique jusqu’à 4000 km.

Cette implantation permettrait d’avoir une capacité de destruction redondante, la même cible étant vue par deux forteresses à la fois. Le transfert de l’énergie de destruction s’effectuerait à 300 000 km/s, à grande cadence de tirs, durant quelques secondes par cible, de quoi neutraliser une salve de missiles SLBM en 160 secondes. De la seconde couche pourraient intervenir des « Brilliant Pebbles » (cailloux futés) ou autres Titans parmi le millier satellisé qui exploitent l’énergie cinétique. Ils fonceraient sur le bus qui embarque les ogives mirvées, voire les ogives elles-mêmes qui auraient survécu aux attaques laser pour finalement les détruire en les impactant. Et cela, avant que les missiles antimissiles de la troisième couche, déjà opérationnels au sol ou sur bateau, tels les GMD (Ground-Based Midcourse Defense), THAAD (Terminal High Altitude Area Defense), Patriot PAC-3 et les AEGIS interviennent en dernier recours.

Pierre de Villiers : « On ne peut se satisfaire d’un modeste réarmement au regard de la situation »

Voilà le défi que se sont lancé les Américains. Certes, c’est un Everest technologique à escalader, mais cette fois son ascension est plus probable que l’IDS de Reagan. Quant au Golden Dome de Trump, s’il s’en tient à une adaptation au territoire américain du concept de bouclier israélien, son efficacité n’empêchera pas un déluge nucléaire d’un millier d’ogives de s’abattre sur les États-Unis. Il faudra attendre la disponibilité des armes spatiales, vers 2035, pour rendre crédible la dissuasion par empêchement. Alors, la dissuasion par représailles de l’autre sera fortement compromise, ce qui engendrera à nouveau une course aux armements pour ceux qui en auront encore les moyens.


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Quant à l’Europe et à la France en particulier, dans le domaine des armes laser stratégiques, elles sont, aujourd’hui, à la traîne ! Ce constat est d’autant plus amer que la France, à l’initiative du général de Gaulle, avec qui j’ai eu l’honneur d’échanger, en 1967, sur la physique du laser, avait engagé les premières recherches sur l’arme, qu’ensuite les différentes présidences de la République soutinrent durant plus de 15 ans. L’Élysée voulait connaître le niveau de vulnérabilité de nos forces nucléaires face à une défense soviétique dotée d’armes laser dont les recherches avaient débuté en 1962. Le savoir acquis nous avait permis de parler d’égal à égal avec les Américains. Sous la conduite de la délégation générale de l’Armement, dans le cadre du projet ARMEL, les chercheurs des Laboratoires de Marcoussis que je dirigeais, avaient réalisé, en 1979, le premier prototype d’arme laser de haute énergie, le LEDA 6, unique en Europe de l’Ouest, d’une puissance qui approchait les 500 kW. Durant 3 ans, avec ce prototype, nous avons effectué des tirs laser à distance sur de nombreuses cibles tel une aile de Mirage IV voire le corps de rentrée du missile balistique M4, pour déterminer leur vulnérabilité. Mais en 1985, la France renonça à poursuivre ces travaux sur l’arme laser stratégique. Aujourd’hui, engager un tel programme de recherches sur un bouclier équipé de ces armes stratégiques ne peut s’envisager que dans un cadre européen, car il est inaccessible pour les finances de la France.