Le bruit des bottes les rattrape et la nuit bascule dans la violence. Peu après minuit, le 14 décembre 2025, comme tous les samedis soir, le familier farniente du cours Saleya fourmille de jeunes en terrasses, venus boire des coups… « pas s’en prendre plein dans la gueule ».

Baptiste (1) crache ces mots comme on crache ses dents : « Si je n’étais pas sorti de la mêlée, c’est ce qui me serait arrivé », confie celui qui a été violenté, avec quatre amis, par « une bande d’inconnus ». « La boule au ventre », il revient sur cette soirée entre potes qui dégénère à cause d’une quinzaine d’individus masqués et cagoulés.

Avant de passer à l’attaque, la clique « se la joue milice gros bras en zonant dans le Vieux-Nice », retrace le vingtenaire. « Tout le monde les regardait en se demandant ce qu’ils faisaient. En retour, ils jetaient des regards très menaçants. » Une scène confirmée par un tiers témoin.

« Sale bougnoule, sale négro »

Les heures passent, Baptiste et ses copains ne pensent plus à « ces mecs bizarres » quand ceux-ci les interceptent sur la rue Rossetti. « Ils prétendent que l’un des nôtres s’en est pris à l’un des leurs. Ils pensent le reconnaître à cause de sa chapka et, pour le prouver, nous montrent une vidéo… sur laquelle il y a quelqu’un qui n’a absolument rien à voir. On comprend que c’est juste un prétexte pour nous embrouiller. Et on a beau leur expliquer que c’est pas lui, ils continuent à mettre la pression, juste par plaisir », regrette Jendo, l’une des victimes.

Préférant ne pas envenimer la situation, son pote Baptiste s’apprête à partir lorsqu’une insulte raciste – « sale bougnoule » – lui est balancée en pleine figure. Sonné, il ne voit pas venir une seconde horreur – « sale négro ». Une scène et des propos confirmés par un témoin extérieur à l’altercation. Yanis, lui aussi visé par ces insultes, exige des excuses. « En face, un mec masqué dresse ses poings » pour seule réponse. « Et ça part. »

En sous-nombre, le petit groupe est roué de coups puis en échange quelques-uns. Yanis s’écroule, se fait « shooter de partout » avant d’être relevé. Tant son hurlement que l’attroupement attirent vigiles et passants, endiguant la mêlée. Blessés, choqués, les cinq amis décampent dans la nuit, poursuivis par une menace : « Cassez-vous, sinon on vous retrouve et on vous fracasse. »

Dimanche 14 septembre, 20 heures, le mouvement Aquila popularis a investi le monument aux morts de Nice.

« Il y a des gens assez à l’aise pour se balader masqués, dire des horreurs et frapper des inconnus »

Au réveil, les corps se découvrent un mal aux côtes, au dos, à la nuque. Des bleus partout. À l’âme, surtout. « Physiquement, ça aurait pu être vraiment pire, heureusement qu’ils n’avaient pas de lames. Mais les insultes racistes font encore plus mal que les coups… Ça reste dans la tête. »

Si Baptiste n’est pas allé déposer plainte, il souhaite témoigner pour ne pas que ça se reproduise. Pour alerter, aussi : « Je n’aurais jamais pensé être exposé à autant de racisme et de violence dans la ville où j’ai grandi. Aujourd’hui, il y a des gens assez à l’aise pour se balader masqués, dire des horreurs et frapper des inconnus. »

Si ça lui fait peur ? Il n’hésite pas un instant : « Je ne veux pas tomber là-dedans. Je continue de sortir dans le Vieux. » Pas pour l’affront, pas pour résister. Juste pour faire la fête. « On vit encore dans une société en paix, non ? »

Les antifas suspectent Aquila Popularis, qui réfute

Des nationalistes-révolutionnaires sont-ils les auteurs de l’agression ? C’est ce que croit le Comité antifasciste 06 : « Nous savons que, ce soir-là, Aquila Popularis fêtait ses trois ans. Est-ce que leur soirée d’anniversaire a viré à la ratonnade ? À quel point l’extrême droite se sent à l’aise à Nice ? », écrivent-ils sur les réseaux sociaux. Sans que les victimes de l’agression soient liées au mouvement d’ultra-gauche, celui-ci rappelle que « la même nuit, une soirée a été organisée par des comités de gauche. Nous pensons que c’est cet évènement [qu’Aquila Popularis] pensait attaquer. »

Alors pourquoi se rabattre sur des inconnus ? « [Face au premier] groupe, trop nombreux par rapport à eux, ils auraient changé de cible. » Ce que démentent les mis en cause : « Notre mouvement n’a strictement aucun lien avec ce fait divers. » Une vidéo aurait pu tirer l’affaire au clair. « Mais ils ont fait effacer les vidéos à ceux qui les ont prises », assure un témoin.

Si les antifas soupçonnent le groupuscule d’extrême droite (dont certains fondateurs sont issus des Zoulous, néonazis ultraviolents actifs jusqu’en 2021), c’est parce qu’un de ses sympathisants a été identifié par plusieurs témoins, après avoir découvert son visage. Une affiliation réfutée par Aquila Popularis et par le principal intéressé, qui se dit « apolitique ». Mais selon nos informations, il y a encore quelques mois, sa proximité avec le mouvement n’était pas contestable.

Masqués à cause de « la température »

Sollicité, le membre identifié de la bande violente explique que « le grabuge général et l’ancienneté des faits (l’) empêchent de déterminer de manière exacte qui portait un masque ou non, mais la basse température pourrait le justifier. Il n’y avait aucune raison de masquer des visages puisque nous n’avons rien à nous reprocher […] Notre sortie entre amis n’avait rien d’une maraude répressive », assure-t-il.

Quid des insultes racistes ? « Si des mots ont fusé, je ne saurais dire [leur contenu], ni qui les a proférés. » Quid des coups ? « Je n’ai pour ma part […] porté aucun coup. L’altercation […] est née d’un malentendu. […] L’un de mes amis a eu sa veste arrachée, l’autre est rentré chez ses parents avec des bleus sur le visage. »

1. Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des victimes.