Pourquoi le dégel Paris - Alger se transforme en « très sérieux revers pour Retailleau »

LUDOVIC MARIN / AFP

Pourquoi le dégel Paris – Alger se transforme en « très sérieux revers pour Retailleau »

POLITIQUE – Le Quai des orfèvres ? Le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot se rend à Alger ce dimanche 6 avril pour « donner rapidement » corps au nouvel élan souhaité à la relation franco-algérienne. Le signe d’un dégel conséquent après des mois de crise exacerbée entre les deux pays.

C’est un appel téléphonique entre Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune une semaine plus tôt qui a permis ce retour au dialogue. Dans un communiqué commun, les deux chefs d’État ont souligné « la force des liens – en particulier humains » unissant les deux pays et marqué « leur volonté de renouer le dialogue fructueux » engagé lors de la visite du président français à Alger en août 2022.

Aujourd’hui, Jean-Noël Barrot espère obtenir « des résultats en matière de coopération migratoire, judiciaire, sécuritaire, économique ». Comme un vent nouveau, donc, et le premier acte d’une revanche éclatante pour la ligne « diplomate » au sein de l’exécutif, sur celle plus bouillonnante – ou populiste – incarnée par Bruno Retailleau.

« La sagesse, l’évidence l’a emportée sur les rodomontades »

« On perçoit de plus en plus nettement qu’une brouille serait trop coûteuse de part et d’autre », assure en ce sens le spécialiste des relations internationales Bertrand Badie, pour qui « l’interdépendance entre l’Algérie et la France depuis 1962 est telle, que la stratégie prônée par monsieur Retailleau avec son “rapport de force” était irrationnelle pour ne pas dire stupide. »

De fait, le vocabulaire utilisé aujourd’hui entre les deux capitales tranche nettement avec le ton employé par le ministre de l’Intérieur ces dernières semaines, le responsable français le plus visible dans la confrontation avec l’Algérie. Le plus offensif aussi. Depuis la Place Beauvau, le Vendéen n’a cessé de faire monter les tensions – déjà vives depuis la reconnaissance par la France de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental l’été dernier – en multipliant les banderilles dans le râble des autorités algériennes.

Il a par exemple pilonné sans discontinuité leur refus de reprendre leurs ressortissants frappés d’OQTF (obligation de quitter le territoire français), avant de saisir toutes les occasions de pourfendre l’arrestation arbitraire de l’écrivain Boualem Sansal. Le tout, au bénéfice d’une cote de popularité grandissante. Mais au prix de dissensions au sein de l’exécutif sur un dossier si inflammable – et diplomatique.

Ainsi, quand Bruno Retailleau en février crie à « l’humiliation » de la France par cette « Algérie qui nous agresse », puis chauffe une opinion sensible à ces thèmes en décrétant une stratégie de « riposte graduée » envers Alger, le chef de la Diplomatie française le met en garde publiquement contre tout rapport de force stérile. Mêmes réserves sur le sort de l’écrivain franco-algérien, cité par le ministre à chaque meeting pour la présidence des LR quand d’autres revendiquent agir en coulisse. Entre les deux, une ligne semble aujourd’hui porter ses fruits. « La sagesse, l’évidence l’a emporté sur les rodomontades », résume Bertrand Badie au HuffPost.

Voie « rationnelle » contre « populiste »

Selon le récit de plusieurs médias, ce sont les contacts et les allers-retours maintenus entre le cabinet d’Emmanuel Macron et les autorités algériennes, qui permettent aujourd’hui le retour du dialogue. En parallèle des coups de menton de Bruno Retailleau, non sans influence sur la position de plus en plus rude de François Bayrou, des diplomates français se sont effectivement rendus en Algérie à trois reprises depuis janvier.

« C’est un exemple rassurant qui démontre que la diplomatie a des ressorts dont on ne peut pas se dispenser. La voie diplomatique était la seule voix rationnelle, il était bon de le démontrer », analyse Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po et auteur de l’essai l’Art de la paix (Flammarion, 2024). Et d’ajouter : « les rodomontades de monsieur Retailleau apparaissent de plus en plus clairement comme étant des éléments qui nourrissent la politique intérieure française, et symétriquement, la politique intérieure algérienne. Cela ne peut en aucun cas déboucher sur quelque chose de constructif. »

Emmanuel Macron et le quai d’Orsay sont donc de retour à la manœuvre, tandis que le locataire de la Place Beauvau semble mis sur la touche. Depuis le coup de téléphone entre les deux présidents, le ministre de l’Intérieur s’exprime mezza voce sur le dossier algérien, se disant même « optimiste » (le 1er avril dernier) quant à une résolution rapide des bisbilles. Le signe, pour Bertrand Badie, d’un « très sérieux revers » pour le premier flic de France – qui avait menacé de démissionner, avec fracas, si sa ligne n’était pas suivie.

« D’une part, il a été démenti par le président de la République et Jean-Noël Barrot qui a rapidement pris ses distances. De l’autre, il a montré qu’il incarnait davantage une politique populiste que régulatrice, tranche-t-il, ses propos ne servaient qu’à flatter un électorat, tout en exprimant une impasse et dévoilant une nature totalement irréaliste, irréalisable et inconsistante. » Ou l’échec du Quai des brumes.

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