ON A VU POUR VOUS – Mardi à 21 heures, la chaîne propose une longue immersion, tournée durant six mois, dans le quotidien du ministre de l’Intérieur. Le portrait d’un « présidentiable », que décrypte le réalisateur Louis Morin.

En remercie-t-il la Providence ? Ou le coup de poker hasardeux d’Emmanuel Macron de juin dernier, qui a rebattu les cartes à l’Assemblée ? Après trente ans à fréquenter, influent mais discret, les allées du pouvoir, du Conseil général de Vendée au Sénat, Bruno Retailleau  fait désormais figure d’homme fort du gouvernement. De « clé de voûte » de l’alliance entre centre et droite, selon une expression de Maud Bregeon, porte-parole de la courte ère Barnier.

Avec une soudaineté digne des spectacles équestres auquel il participait au Puy-du-Fou, ces sept derniers mois l’ont propulsé sur le devant de la scène. La chaîne CNews, pas insensible à ses charmes, lui consacre un documentaire, L’homme de Beauvau. Afin de sonder les raisons de sa popularité et mieux distinguer la personnalité de celui qui s’opposera prochainement à Laurent Wauquiez pour la présidence des LR.

Loin des caricatures

Le réalisateur Louis Morin l’a suivi pendant six mois. Un travail de longue haleine. L’immersion demande de longues heures de tournage. Et un certain talent pour se glisser dans le décor afin de capter, par exemple, les échanges d’un ministre de l’Intérieur chez lui, en Vendée, blaguant avec ses copains sur sa rencontre avec le pape. Bruno Retailleau n’est certes pas François Hollande ou le regretté Jean-Louis Debré, pour citer des personnalités politiques au sens de l’humour bien établi, mais il montre au cours de cette séquence un autre visage.

C’est d’ailleurs le sentiment que donne ce documentaire : Bruno Retailleau ne colle pas tout à fait à son image. À ces lunettes rondes et cette cravate sévère que lui jalousent peut-être les percepteurs des impôts. « Nous avons découvert un homme avec un panel d’émotions qui le situe loin des caricatures. Nous voulions le montrer. Le spectre émotionnel est très important en politique », abonde Louis Morin, auteur en janvier dernier d’un portrait d’un autre présidentiable, Gabriel Attal. Qui se révélait, dans le film en question, aussi bon communicant que mauvais comédien…

Point de comédie chez Bruno Retailleau, fidèle à ses idées et à sa sacro-sainte fermeté. « Ce qui me frappe, c’est qu’il reste le même en toutes circonstances, il ne fait pas d’“actor studio” », confirme Louis Morin, également chroniqueur sur CNews. Le ministre, au prix d’une petite entorse à son respect affiché de la langue française, milite ainsi pour le « parler vrai ». La culpabilisation des consommateurs de drogue comme, plus récemment, le durcissement des conditions d’accès à la naturalisation, Retailleau « l’assume ». Comme il ne craint pas les tempêtes médiatiques que ses positions déclenchent.

« Les polémiques, ça sert, estime-t-il devant ses troupes. Surtout quand celui qui la crée ne se cache pas sous la table. » Comprendre, lui-même. Il faudrait chercher dans cette franchise et cette énergie les raisons de son embellie dans les sondages selon Carole Barjon, de La Revue Politique et Parlementaire. Franz-Olivier Giesbert, désormais loin de son Nouvel Observateur d’origine, ajoute : « Il fait un boulot qui n’a pas été fait pendant longtemps ».

« À l’origine, Bruno Retailleau n’avait pas candidaté pour être ministre de l’Intérieur »

Louis Morin

Ses retraites à Saint-Malô-du-Bois

Ses tournées dans les commissariats (« Je suis fier d’être votre ministre, du fond du cœur »), l’accueil de François à Ajaccio (« En France, on a la laïcité mais aussi le bureau des cultes », glisse-t-il au pape), le dossier algérien… «L’homme de Beauvau», qui n’a imposé aucune condition particulière sur le tournage, se dévoile dans son quotidien saturé de ministre. Il salue, se renseigne, rassure. Serre des mains, pense à la Vendée, vante l’État et la laïcité. « Il dort très peu et vit comme un athlète », témoigne Vincent Trémolet de Villers, directeur délégué de la rédaction du Figaro. Qui se souvient de son retour de Mayotte défiguré par le cyclone : « On sentait qu’il avait été confronté à quelque chose qu’il n’avait jamais vu de sa vie, en termes de violence, de dévastation, de douleur. »

L’athlète enfile régulièrement un pull torsadé à Saint-Malô-du-Bois, où il retrouve ses bocages, ses vieux clochers, ses huit moutons et les souvenirs de la charcuterie de son grand-père. L’authenticité, la vraie ? De quoi, en tout cas, imprimer la marque d’un homme politique « enraciné ». Utile, sans doute, pour rêver plus loin, plus haut, que la place Beauvau. « Bruno Retailleau m’a fait une confidence, reprend Louis Morin. À l’origine, il n’avait pas candidaté pour être ministre de l’Intérieur. Même s’il connaissait bien le sujet de l’immigration, il faut se rappeler qu’au Sénat, il traitait des dossiers économiques. » Il serait aujourd’hui trop tard pour ne plus songer à 2027. « D’une certaine façon, il est grisé du soutien populaire qu’il reçoit. »

Après Édouard PhilippeÉric Dupond-Moretti et, donc, Gabriel Attal, l’ancien président du conseil régional des Pays de la Loire a le droit à son portrait brossé à la télévision. Une manière, à l’image des mémoires et essais programmatiques auxquels ne résistent pas les politiques, de retenir l’attention de l’opinion ? « L’aspect patrimonial l’intéressait davantage, observe Louis Morin. Il y a vu une façon de laisser une trace durable de son action. Il a conscience qu’un poste ministériel est éphémère. » Michel Debré prévenait que l’on reste moins longtemps ministre qu’ancien ministre…

Dès le 17 mai, il reviendra aux électeurs LR d’infléchir, dans un sens ou dans l’autre, le destin politique de Bruno Retailleau. Face à ses adversaires, le ministre de l’Intérieur est convaincu que sa « sincérité » constituera sa meilleure carte. Celle-là même qu’il donne à voir, avec un détachement tout régalien, dans le documentaire de CNews.

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