Il est des surnoms dont on se passerait bien. « La ville aux noyés » est celui dont Phelippes de Tronjolly, procureur du roi, affublait Rennes en 1783, tant la cité bretonne comptait de graves accidents de baignade. Les victimes étaient d’autant plus nombreuses que les médecins ignoraient tout de la respiration artificielle et pensaient qu’on pouvait être réanimé même après avoir passé plusieurs heures sous l’eau.
Le Mensuel de Rennes
Magazine curieux et (im)pertinent !
Découvrez
Au XVIIIe siècle, Rennes est encore ceinte des méandres de la Vilaine. Le fleuve, non canalisé, prend ses aises au pied des maisons, ignorant qu’il sera un jour recouvert par le boulevard de la Liberté, un parking ou une voie de bus. On y pique volontiers une tête, malgré les déchets qui flottent à la surface. Le nombre de noyés par an n’est pas connu, mais il semble suffisamment important pour alerter les pouvoirs publics.
Si l’on suppose que le noyé a trop bu, on le fait entrer dans un tonneau ouvert par les deux bouts que l’on roule pendant quelque temps
Une circulaire de 1783 dicte le traitement à appliquer pour réanimer un malheureux : « II paraît inutile de le pendre par les pieds mais si l’on suppose que le noyé a trop bu, on le fait entrer dans un tonneau ouvert par les deux bouts que l’on roule pendant quelque temps (…) On peut encore l’exciter à vomir en introduisant à plusieurs reprises une plume avec ses barbes dans l’œsophage. » Mais ce n’est pas tout ! « On doit aussi lui verser dans la bouche des liqueurs spiritueuses ». Pas d’alcool à disposition ? On prend un cocktail de poivre et de vinaigre. Ou pire. « En différentes occasions on a versé dans la bouche noyée de l’urine chaude, qui a paru produire de bons effets. »
Barbes de plumes et insufflations de tabac
Les mauvais esprits insinueront qu’il n’y a pas beaucoup de différence entre ce liquide et l’eau de la Vilaine, mais passons. La circulaire prodigue d’autres conseils pour chasser l’eau des poumons : « On peut irriter les fibres intérieures du nez par des esprits volatils, des barbes de plumes, des insufflations de tabac, souffler de l’air chaud dans la bouche au moyen d’une canule et d’un soufflet, donner des lavements chauds irritants… » La Ville avait fait l’acquisition dès 1773 d’un kit de réanimation venu de Paris. On y trouve des frottoirs en flanelle sèche pour frictionner le patient, de l’eau-de-vie camphrée, un soufflet, des plumes, et aussi du tabac pour bien ramoner l’appareil respiratoire. Faut-il le préciser ? Tout cela ne marchait pas très bien.
Persévérer…
En 1833, un rapport de la Société de médecine de Rennes prescrit de « mettre le noyé dans la posture d‘un homme qui vomit. Faire passer sous le nez, rapidement et à plusieurs reprises, des allumettes bien soufrées et enflammées. Donner un lavement préparé avec trois parties d’eau, de vinaigre et un quarteron de sel commun. »
Donner un lavement préparé avec trois parties d’eau, de vinaigre et un quarteron de sel commun
Et s’il ne réagit pas ? « Brûler sur le creux de l’estomac et sur les membres de petits morceaux d’amadou, de liège, de coton, de papier. Persévérer dans l’emploi de ces moyens qui, quelquefois, n’ont produit leur effet qu’au bout de huit à dix heures et même davantage. » Un traitement de choc qui a dû en inciter plus d’un, s’ils hésitaient encore, à prendre quelques cours de natation…