Chef-d’œuvre de l’art du bronze khmer, le grand buste d’Angkor a été soigneusement étudié et restauré en France, en amont de sa présentation au musée Guimet.

Un dieu s’est invité sous la rotonde du musée Guimet. Il s’est frayé un chemin au panthéon parisien des arts asiatiques, entre les génies en fleurs gréco-bouddhiques, les bouddhas suprêmes du Tibet et les brahmas du sous-continent indien. Pièce maîtresse de la nouvelle exposition du musée consacrée aux bronzes royaux d’Angkor, le grand Vishnu couché du sanctuaire du Mebon occidental est en ambassade.

Surnommé «la Mona Lisa du Cambodge» par les conservateurs français, ce bronze à quatre bras et au sourire placide a bénéficié d’une cérémonie religieuse d’adieu, au départ de Phnom Penh. Reçu en toute discrétion en France dès mai 2024, ce dieu khmer du XIe siècle a été examiné par une quarantaine de petites fées du centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Géologues, métallurgistes et autres corrosionistes de cette vitrine de l’excellence française pour l’étude des «objets du patrimoine», selon le jargon consacré, ont cherché à percer les secrets de fabrication de ce buste remarquable.

Bain de jouvence

Puis vint le tour de la toilette. Fourbu par les siècles, dévoré par la corrosion, le grand Vishnu s’est offert, l’hiver dernier, un bain de jouvence, à Nantes, dans la bulle du laboratoire Arc’Antique, spécialisé dans la conservation des vestiges métalliques. Pourtant, la présentation à Paris du dieu restauré a bien failli ne jamais voir le jour. Mis en pause au plus fort du Covid, l’accord scientifique conclu en 2019 entre la France et le Cambodge périclitait dangereusement lorsque l’arrivée, en 2022, de Yannick Lintz à la tête du musée Guimet a tiré in extremis le « projet Vishnu » de son purgatoire. Depuis, la divinité de métal a été couverte de douces attentions. Elle revient de loin.

Les examens menés en France ont pu relier le bronze de la sculpture à une fonderie royale identifiée en 2012, ainsi qu’à une mine de cuivre découverte un an plus tôt, à proximité d’Angkor.
SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP

Découverte en 1936 à Angkor, par les archéologues français Henri Marchal et Maurice Glaize, la plus grande pièce de bronze mise au jour dans l’ancienne capitale khmère, était bien mal en point. Le dieu gisait au fond d’un puits, au centre de l’étonnant sanctuaire carré du Mébon occidental – une île enchâssée dans une autre, au centre d’un vaste bassin. Autrefois polychrome et dorée, couchée sur Ananta, le serpent d’éternité, cette sculpture a été exhumée avec de nombreux fragments qui ont fini dans l’obscurité des réserves du musée national de Phnom Penh.

Ces pièces ont cependant piqué la curiosité de l’École française d’Extrême-Orient, dont les chercheurs s’intéressaient à l’étude de l’artisanat du bronze sous l’empire khmer. Les examens menés en France dans le cadre de ce programme de recherche international ont notamment permis de relier le bronze de la sculpture à une fonderie royale identifiée en 2012, ainsi qu’à une mine de cuivre découverte un an plus tôt, à proximité d’Angkor. « Les métaux correspondent parfaitement, sauf pour l’une des mains, postérieure au moment de fabrication de la statue. Ce détail confirme ce que laissait présager son style un peu différent, plus proche de celui d’un Bouddha », indique David Bourgarit, ingénieur de recherche au C2RMF. Un dieu peut, parfois, en cacher un autre. Cet ensemble magnifique, s’offre jusqu’au 8 septembre à l’admiration des visiteurs du musée Guimet.