Dominique Cerf fut intimement proche de Sylvain Gérard qui l’a désignée dans son testament comme la légataire de son œuvre. Dans cet accrochage, elle disperse cinq de ses dessins. Entre autres, un paysage intérieur avec glissements de natures mortes, une Barque saisie dans un espace qui tangue et qui ressemble à la soute d’un navire. Au fond, face à la porte d’entrée de la galerie surgit « Le Faune à la petite chaise » qui est aussi le titre d’un recueil de textes et de reproductions édité en 2014 par Fidel Anthelme X.
Sylvain était né paraplégique en août 1965, à Besançon, « vieille ville espagnole ». En guise de colonne vertébrale, une barre de titane fixa sa fin de croissance. Son père s’absenta. Féministe, enseignante de lettres modernes, sa mère s’était remariée avec Bernard Laude, professeur d’université, militant PSU. Marie Laude (1937-2022) et son beau-père tentèrent l’impossible pour adoucir son parcours. Très jeune grâce à des voyages aux États-Unis, Sylvain Gérard s’était orienté du côté de Twombly et Rothko. Il avait par la suite médité l’exemple des écritures solitaires de Giacometti, Louis Soutter et Bruno Schulz, aperçus au musée Cantini : il avait résolu de se consacrer exclusivement à l’usage du noir et du blanc. Après une courte formation à Fontblanche, unique école d’art capable à cette époque d’accepter la présence de fauteuils roulants, il décidait d’habiter Marseille où il vécut de 1987 à 1997. Avec son handicap, ses colères, ses amitiés et ses joies, sa guitare électrique, ses encres et ses pastels. D’abord place de la Bourse, ensuite boulevard des Dames, dans un atelier du Grand Domaine.
Œuvre au noir
Ses douleurs et son isolement provoquaient de terribles alternances, des rémissions et des crises difficilement surmontables. L’humour, la tendresse et l’auto-dérision, la rage, le cynisme et l’alcool pouvaient le muer en demi-monstre capable de vives affections ou bien d’inacceptables ingratitudes. Sans les nuances et les bonheurs d’expression de ses fusains, sa vie aurait été aveuglée par l’absurdité de la souffrance. Son énergie dans l’écoute et la perception de l’inconscient des images, une prodigieuse mobilité déterminaient sa créativité. La plupart de ses œuvres s’inscrivent immédiatement dans la mémoire de qui sait les regarder. Parmi les plus précises descriptions de son travail on saluera une page de Jean-Jacques Viton qui écrit que chez Sylvain Gérard, « cela miroite comme l’anthracite… c’est sans appel… ce sont des blocs – élan, envol, fugue – qui deviennent des comptes rendus… la trace béante du bouleversement central ».
Sylvain Gérard repartit vivre dans sa ville natale. Il voyagea jusqu’à Nouméa, au Maghreb et en Turquie, revint à New York. Son dernier logis se situait au 12e et dernier étage d’un immeuble, avec vue sur le lointain des montagnes. Une escarre ne fut jamais guérie, une septicémie généralisée le guettait, les médecins refusaient d’administrer la sédation qu’il demandait. Sa fin de vie est terrifiante ; comme Yukio Mishima, Sylvain Gérard avait résolu de s’éventrer. Des collectionneurs privés détiennent des fragments de son travail, un achat fut acté en 1988 par le Fonds communal de la Ville de Marseille. Deux expositions posthumes furent programmées à Marseille, galerie du Tableau en 2014, ensuite à la galerie Najuma, 107, rue Breteuil. Il faut aller scruter son site, riche en textes et reproductions, https:// sylvaingerard.art/. Georges René et Jean-Jacques Ceccarelli avaient publié en 1992 l’une de ses noires apparitions, dans un feuillet de leur revue qui avait pour titre Il Giaccatore, le Joueur déchiré.
Exposition « Attends, j’arrive », galerie La Nave Va,
16, boulevard National,
du mardi au samedi, de 14
à 19h, jusqu’au 29 avril