Longtemps marginalisée par les principaux pays de l’UE, la Pologne est devenue, ces dernières années, un acteur incontournable du flanc est dans les décisions européennes liées à la sécurité, à l’Ukraine et à la Russie.

Le contexte d’une relation dégradée entre les États-Unis et l’UE pousse, en outre, Paris et Varsovie à se rapprocher. « La France a pris conscience que la Pologne est un partenaire essentiel dans un environnement à risque élevé », résume Pierre Buhler, ancien ambassadeur de France en Pologne et auteur de « Pologne, histoire d’une ambition ». « C’était une anomalie de considérer que nous avions un traité privilégié avec l’Allemagne, que nous avions rehaussé notre relation avec l’Italie et l’Espagne, et qu’avec l’un des autres très grands partenaires européens, à savoir la Pologne, nous n’avions pas ce genre d’intimité consacrée par un traité », souligne-t-on de source élyséenne.

Renforcer la coordination militaire

Resserrer les liens avec Varsovie doit permettre à Paris de renforcer la coordination militaire et diplomatique dans la région, évitant aussi de laisser les États-Unis dominer seuls le dialogue avec les Polonais.

« Paris est déjà partenaire avec des pays comme l’Estonie et la Roumanie », rappelle Léo Péria-Peigné, expert à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Mais ces pays ont des capacités militaires « beaucoup plus limitées » quand la Pologne entend se doter « de la plus importante armée de terre d’Europe d’ici dix ans », note-t-il.

En 2024, l’armée polonaise comptait 216 000 militaires, selon les données de l’Otan, soit déjà davantage que les armées française (205 000) et allemande (186 000). Et elle ambitionne d’atteindre 300 000 hommes en 2035.

Poids de la dissuasion

Ultra-dépendante de Washington dans la fourniture d’équipements de défense, mais aussi de Séoul, « Varsovie ne veut plus mettre tous ses œufs dans le même panier », explique Pierre Buhler. Or, la France dispose d’une « solide expérience opérationnelle » dans le domaine militaire, note Léo Péria-Peigné, qui relève aussi « les enjeux liés à la dissuasion nucléaire » dont les Polonais, à la recherche de garanties de sécurité supplémentaires, « parlent de plus en plus ».

« Il s’agit d’indiquer clairement dans ce traité que la sécurité de la Pologne fait partie de la dimension de sécurité européenne évoquée par Emmanuel Macron », estime Marek Swierczynski, expert au centre de réflexion Polityka Insight, basée à Varsovie. « C’est probablement l’élément le plus important de l’accord », opine-t-il.

Emmanuel Macron a récemment rappelé la dimension européenne des intérêts vitaux de la France, laissant entendre que le parapluie nucléaire français pourrait jouer pour la défense du continent. « L’engagement de la France envers la Pologne par le biais d’un tel traité, et notamment l’inclusion d’une clause bilatérale de défense mutuelle, constituerait une confirmation qui faisait défaut depuis longtemps aux niveaux politique et stratégique du côté français », poursuit Marek Swierczynski, à savoir « un engagement total dans la défense de l’Europe contre la Russie et un engagement total envers les pays de l’est du continent ».

Nouveau marché ?

Paris espère que ce rapprochement débouchera aussi sur un nouveau marché pour son industrie de défense au moment où Varsovie cherche à se doter d’avions de transport, d’avions-ravitailleurs ou encore de sous-marins.

Les Polonais sont très ébranlés par la versatilité de Donald Trump sur l’Ukraine

Si la France pousse pour une Europe de la défense, Varsovie est historiquement méfiante envers toute idée d’autonomie stratégique perçue comme un éloignement de l’Otan.

Mais le retour de Donald Trump à la Maison Blanche et ses critiques envers les Européens ont rebattu les cartes. « Les Polonais sont très ébranlés par la versatilité du président américain sur l’Ukraine », indique Pierre Buhler. « Au-delà du contexte de guerre en Ukraine, il y a ainsi le contexte de la fragilisation du lien transatlantique », dit-il.

Alors que Donald Trump martèle que l’Europe doit prendre ses responsabilités, « la Pologne affirme : “Oui, nous prenons nos responsabilités en concluant une alliance avec le pays le plus puissant d’Europe continentale” », analyse Marek Swierczynski.

La signature du traité de Nancy, au-delà du symbole, sera aussi « un outil de communication stratégique », puisqu’elle se déroulera le jour même du défilé annuel commémorant la victoire sur l’Allemagne nazie à Moscou.