Une des plus grandes affaires criminelles françaises du XXIe siècle toujours irrésolue. Quatorze ans après le choc de la découverte du quintuple meurtre à Nantes, Xavier Dupont de Ligonnès reste introuvable et déchaîne les passions. Les récentes annonces de l’influenceur Aqababe affirmant avoir retrouvé « XDDL », – démenties par la justice – révèlent l’incroyable fascination du public pour ces crimes et pour la personnalité complexe du suspect numéro 1.
Mais c’est à une autre enquête que se livre le docteur Daniel Zagury, psychiatre des hôpitaux français, spécialiste de psychopathologie et de psychiatrie légale et chef de service au centre psychiatrique du Bois-de-Bondy. Célèbre pour sa participation à l’instruction de nombreuses affaires criminelles, Daniel Zagury, expert honoraire près de la Cour d’appel de Paris, publie ce vendredi 9 mai L’Énigme publique n° 1. Xavier Dupont de Ligonnès (Seuil, Collection « Traverse », 160 pages, 17,50 euros).
Un ouvrage qui, d’après l’auteur, aurait pu s’intituler « Dans la tête du tueur », et dans lequel l’expert s’intéresse au « travail psychique du crime ». Daniel Zagury, qui n’a pas rencontré Xavier Dupont de Ligonnès, livre une « réflexion d’expert qui n’a pas honte de ses pratiques originelles et de l’expérience qu’il en a tirée […] », en s’appuyant notamment sur les nombreuses traces écrites qu’a laissées le père de famille. Dans son livre, le psychiatre dévoile plusieurs « fils directeurs » pour tenter d’expliquer, peut-être, comment un « Monsieur Tout-le-monde » peut devenir un « Monsieur Tout-le-monstre ». Entretien.
Qu’est-ce que le « travail psychique du crime » qu’aurait réalisé Xavier Dupont de Ligonnès ?
Cela consiste en la lente élaboration du crime qui va, dans le cas de Xavier Dupont de Ligonnès, de l’émergence de la première idée suicidaire jusqu’au passage à l’acte de tuer toute sa famille. Progressivement, cet homme va en venir à l’idée qu’il ne peut se suicider qu’avec ceux qu’il aime le plus au monde, et qu’ils seront ensemble pour l’éternité, et que cela doit rester secret.
Mais il faut un sens à toute cette entreprise. Ce sens, il va le chercher dans l’idée de sacrifice. C’est-à-dire que, pour lui, il ne va pas massacrer les siens mais les offrir de façon sublime à Dieu. Le travail psychique du crime, c’est tout cela. C’est comment résoudre cette équation pour rendre le crime confortable.
L’auteur du crime ne tuerait donc pas par haine, mais par une sorte de « logique sacrificielle » ?
Xavier Dupont de Ligonnès ne se prend pas pour un ange exterminateur. Il ne se prend pas non plus pour Dieu. Mais il va se persuader que Dieu ne refuse pas les sacrifices. Il pense que tout le monde va se retrouver au paradis, et que le crime est juste un mauvais moment à passer. Cela rend le crime plus facile. Quand il aura pris sa décision, il n’a plus aucun doute et son bras ne s’arrêtera pas, car il pense que c’est juste et bien.
Vous revenez sur l’histoire et la famille particulière de cet homme, dont la mère « l’a empêché d’avoir son propre destin, et à ce père qui avait abandonné sa famille ». Sur comment il a évolué, avec quelles valeurs, jusqu’à la survenue du quintuple meurtre…
Expliquer sa vie familiale est un élément majeur dans la compréhension de Xavier Dupont de Ligonnès. Il a cru jusqu’à 35 ans aux prophéties mystiques de sa mère, notamment qu’il était prédestiné pour être un survivant de l’Apocalypse. Etre prédestiné, c’est être privé de son propre destin. Cette mère, il l’aimait trop pour s’en dégager. Son père, il l’aimait trop pour lui reprocher d’avoir abandonné sa famille pour partir en Afrique. Psychiquement, Xavier Dupont de Ligonnès n’a jamais été autonome, ni de sa mère, ni de son père.
Que voulez-vous dire quand vous qualifiez Xavier Dupont de Ligonnès d’« homme compartimenté psychiquement » ?
Un autre fil directeur pour comprendre cet homme est le compartimentage. Ce type est souriant alors que sa vie de couple est un désastre. Le soir où il est supposé avoir tué toute sa famille et qu’il est sur la route du suicide, il fait des petits « coucou », se prend une entrecôte bien arrosée. Cette aptitude particulière au compartimentage est une caractéristique essentielle pour comprendre sa psychologie.
En analysant l’homme, son histoire, sa famille, vous soulignez l’absence de mobile évident pour un passage à l’acte aussi radical…
Ce qui fascine dans l’affaire Dupont de Ligonnès, c’est que c’est une histoire à histoires : il y a la dimension religieuse, la dimension psychiatrique, la dimension aristocratique, la déchéance économique et sociale… Les histoires s’ajoutent les unes aux autres et se complètent. C’est pourquoi une seule théorie ne peut rendre compte de toute la réalité. C’est l’ensemble de ces théories qui peut permettre de mieux comprendre.
Les meurtres imputés à Xavier Dupont de Ligonnès sont atroces. Mais vous faites le constat que personne ne le hait, car nous lui avons donné « une place vacante », celle « du dépositaire de la clé des mystères ». Que voulez-vous dire ?
Je me suis rendu compte, en écrivant ce livre, à quel point cet homme est devenu une légende, un mythe dans notre société. Les Anglais ont Jack l’Eventreur, nous avons Xavier Dupont de Ligonnès. Chacun à une théorie sur lui. Comment comprendre l’embrasement incroyable pour ce pauvre Guy Joao *, ou le succès incroyable du numéro de Society consacré à Dupont de Ligonnès [à l’été 2020], ou encore les centaines de milliers de followers qu’a gagné l’influenceur Aqababe en quelques jours ? C’est parce qu’on attend Xavier Dupont de Ligonnès.
Ce n’est pas l’attente d’un amoureux, ni celle d’un Ulysse revenant après un long voyage, du fils prodigue, de la résurrection du Christ, du retour de Martin Guerre… mais c’est tout cela à la fois. Xavier Dupont de Ligonnès, on le voit au Japon, en Italie, aux Etats-Unis, en Thaïlande. On le voit partout parce qu’il est nulle part, et il occupe une place incroyable dans l’inconscient collectif. Cela en dit plus long sur nous que sur lui…
Nos articles sur XDDLQu’est-ce que cela dit de nous ?
L’attente est une posture universelle de celui qui est tourné vers quelque chose de miraculeux, de magique, plutôt que vers la réalité banale et sordide.
* Le 19 octobre 2019, la police de Glasgow, en Ecosse, pense avoir identifié Xavier Dupont de Ligonnès. Il s’agit en réalité de Guy Joao, un simple retraité.