Fermée depuis 62 ans, la prison d’Al Capone et de Machine Gun Kelly est devenue grâce au 7e art un symbole de l’Amérique autoritaire. Un fantasme auquel Donald Trump souhaite redonner vie.
« À Alcatraz nous ne faisons pas de bons citoyens, nous faisons de bons prisonniers ». Cette réplique prononcée par Patrick McGoohan dans L’Évadé d’Alcatraz (1979) résonne étrangement avec les déclarations de Donald Trump. Dimanche soir, sur son réseau social Truth Social, le président américain a laissé entendre qu’il envisageait de rouvrir la prison fédérale d’Alcatraz, fermée depuis 1963, pour y placer « les criminels les plus dangereux et violents d’Amérique ». Une déclaration provocatrice, dans la droite ligne de son discours sécuritaire et punitif. Mais qui relance aussi le mythe hollywoodien d’une forteresse inviolable, construite autant par le béton que par le cinéma.
Perchée sur un îlot battu par les vents dans la baie de San Francisco, Alcatraz n’a été utilisée que trente ans comme prison fédérale. Pourtant, son nom évoque à lui seul l’isolement absolu, la discipline de fer et les tentatives d’évasion impossibles. Si l’histoire de cette prison est connue – des figures comme Al Capone, Machine Gun Kelly ou Robert Stroud y ont séjourné – c’est bien le 7e art qui a transformé ce lieu en légende américaine.
Le Prisonnier d’Alcatraz, L’Évadé d’Alcatraz, Rock…
Dès les années 1960, le cinéma s’empare du décor. Le Prisonnier d’Alcatraz de 1962 a valu à Burt Lancaster une nomination à l’Oscar du meilleur acteur. Mais c’est bien L’Évadé d’Alcatraz, réalisé par Don Siegel et sorti en 1979, qui inscrit la prison dans l’imaginaire collectif mondial. Inspiré de la tentative d’évasion réelle de 1962 menée par Frank Morris et les frères Anglin, le film, porté par Clint Eastwood, fait d’Alcatraz un lieu quasi mystique.
Depuis, l’île-prison est devenue un décor mythifié, revisité dans de nombreux films et séries, qui mêlent réalité, légende et effets spéciaux. En 1996, Rock de Michael Bay en fait un théâtre d’action explosive, d’où Sean Connery s’évade à nouveau, cette fois pour sauver San Francisco d’une attaque chimique. La prison, réinventée en forteresse stratégique, s’offre alors une nouvelle jeunesse, dans le genre blockbuster.
« Est-il possible que Trump ait regardé le film et se soit laissé emporter ? »
Un internaute sur le réseau social X
Que Donald Trump se soit récemment replongé dans ce répertoire n’est pas impossible. L’Évadé d’Alcatraz était diffusé samedi 3 mai à la télévision en Floride, où Donald Trump passait le week-end dans sa résidence Mar-a-Lago. Une coïncidence qui n’a pas échappé aux réseaux sociaux. « Est-il possible que Trump ait regardé le film et se soit laissé emporter ? Ce qui a conduit à la brillante idée de reconstruire Alcatraz ? », s’interroge une utilisatrice sur X. « La politique américaine s’inspire-t-elle des programmes télévisés ? ». Le parallèle amuse certains internautes.
L’idée fait en tout cas beaucoup sourire le sénateur Scott Wiener, démocrate de San Francisco, qui qualifie la perspective de rouvrir Alcatraz d’« absurde à première vue », comme le rapporte le journal San Francisco Chronicle . « Au-delà du comportement déréglé persistant de Trump, cette action s’inscrit dans sa croisade pour saboter l’État de droit. Il pointe du doigt les juges qui ne le laissent pas expulser qui il veut sans procédure régulière pour justifier cette manœuvre. Si Trump est sérieux dans ses intentions, ce n’est qu’une étape supplémentaire dans son démantèlement de la démocratie : un goulag national en plein cœur de la baie de San Francisco. »
Des bâtiments totalement délabrés
Si les critiques de ses opposants n’ont jamais freiné l’ancien magnat de l’immobilier, le coût des travaux pourrait bien être le principal obstacle à ce projet. Selon la journaliste du New York Times Heather Knight, qui s’est rendue sur place lundi 5 mai,« les bâtiments sont tellement délabrés qu’ils n’ont plus ni toit ni murs. Les cellules ont des toilettes cassées, voire inexistantes, sans eau courante ni tout-à-l’égout. Les murs extérieurs des cellules sont si fragiles qu’ils sont renforcés par des filets pour empêcher les morceaux de béton de s’effondrer sur la tête des touristes. »
L’agence américaine l’administration pénitentiaire explique à l’AFP que la prison devenue parc national en 1972 coûtait près de trois fois plus cher que toute autre prison fédérale. L’isolement géographique de cette prison, située sur un îlot rocheux, générait de nombreux frais, tels que l’acheminement par bateau de nourriture, ou encore de 3,8 millions de litres d’eau potable par semaine, l’île ne disposant d’aucune source d’eau douce.
La réhabilitation de la prison sur l’îlot rocheux paraît donc hautement improbable. En revanche, le lieu continu de vivre à travers les écrans, en témoignent le film d’animation Resident Evil : Death Island (2023) et le thriller Alcatraz (2018), dans lesquels l’ambiance de la prison a été recréée. Chaque nouvelle histoire continue de forger une image d’Alcatraz comme théâtre de récit épique.