Près de deux ans après son grave accident, Eliott Pierre (voir fiche DV) a entamé la saison 2025 avec détermination, malgré des séquelles toujours bien présentes. Le coureur de l’AC Bisontine, qui pourrait prochainement découvrir le monde du handisport, s’est confié à DirectVelo à l’approche du Circuit de Saône-et-Loire (Elite Nationale), où il espère performer. Entretien.
DirectVelo : Depuis l’accident, quelles sont les séquelles physiques qui persistent encore aujourd’hui ?
Eliott Pierre : Le principal frein reste mon bras droit. Il sort énormément, je ne peux pas me mettre en position aéro, pas même à 90 degrés. Donc j’ai le bras droit qui est toujours un peu de travers, c’est assez particulier, comme lors de mon échappée sur la Classique du Châtillonnais. Aujourd’hui, à la vitesse à laquelle roule le peloton, on sent vraiment que c’est un frein aérodynamique. Pour ce qui est du reste, j’ai des douleurs mais qui ne m’empêchent pas de m’entraîner.
Mais jamais de blocage mental…
Non, c’est assez étonnant, il n’y en a jamais eu. Même à l’entraînement, je n’ai pas eu de frein avec les automobilistes. Je ne sais pas si c’est parce que j’ai repris par du VTT, loin des voitures… Je prends juste du plaisir à revenir au niveau. Je me rappelle que lors de la première interview que vous avez faite de moi pour donner de mes nouvelles , un mois après mon accident, je me demandais si j’allais pouvoir revenir à un niveau Elite. Aujourd’hui, rien que le fait de pouvoir recourir en Elite et, depuis un petit mois, pouvoir refaire des petits résultats, c’est une très grande satisfaction personnelle.
« ON EST TOUS DES GUERRIERS »
Et tout ça en moins d’un an…
Je peux être fier de mon parcours depuis l’été dernier. J’ai été l’un des premiers gravement touchés, mais ensuite il y a eu pas mal d’accidents, un peu comme le mien. Je pense à celui de Yaël Joalland, avec qui j’ai été coéquipier deux ans au CC Étupes, et puis Nicolas Debeaumarché. Ce sont des gens qui reviennent de super loin, et le fait de les revoir déjà au niveau professionnel, voire même de faire des places, ça motive. On est tous des guerriers.
Lors de l’entretien l’été dernier, tu disais devoir te faire opérer en octobre. Qu’en a-t-il été ?
Finalement, je n’ai pas fait l’opération car ça voulait dire que ma préparation hivernale allait être entachée, et je voulais être présent dès le début d’année. J’ai fait le choix de ne pas prendre cette opération au mois d’octobre, pouvoir faire une partie de la saison jusqu’aux Championnats de France, avant d’arrêter. Je serai opéré deux jours après le Championnat.
Un retour sur le billard…
Ils vont m’enlever les cals vicieux que j’ai tout autour de l’épaule, qui empêchent ma liberté de mouvement. Et accessoirement, s’ils y arrivent, ils vont enlever le matériel qu’il y a dans mon bras. Mais ça, ce n’est pas sûr du tout parce que c’est une opération dangereuse avec les nerfs. Sachant que j’ai déjà eu des petits problèmes au niveau du poignet, le nerf ne marchait plus. Donc d’abord enlever les cals vicieux, limer tous les bouts d’os qui ont poussé en trop, et puis après, on verra s’ils arrivent à enlever le matériel.
« IL N’Y A PAS DE STAGNATION »
Il n’y avait aucun risque physique à ne pas se faire opérer avant la saison ?
Les chirurgiens ont été super rassurants avec moi, ils m’ont dit que ça ne changeait rien. Je savais que mon bras allait me gêner en début d’année. J’ai vu sur la dernière Coupe de France l’an dernier, ma première course après l’accident, que j’avais une position un peu particulière sur le vélo, mais ça ne m’empêchait pas d’être performant.
Quel est le bilan de tes premières courses ?
C’est plutôt positif. Je continue de progresser, de retrouver un petit niveau bien sympathique, même si j’estime qu’il est encore assez loin de celui que j’avais avant l’accident. Je ne suis pas arrivé avec le niveau espéré, j’étais un peu déçu, mais c’est tout à fait normal. Je n’avais plus l’habitude de faire autant de haute puissance. J’étais très bon sur les puissances d’endurance, mais dès qu’il fallait vraiment monter en PMA voire au lactique, ça pêchait très clairement. Le seul moyen pour que ça revienne, c’était de courir en Elite pour se réhabituer à appuyer aussi longtemps et aussi fort sur les pédales que ce qu’on peut retrouver en course. On a beau faire plein de séances d’entraînement, il n’y a rien qui égale la compétition. C’est une saison pour reprendre ses marques.
Et tes stats sont en constante amélioration !
Oui, mais il faut aussi prendre en compte le fait que je ne fais pas le même poids qu’avant l’accident. J’ai perdu beaucoup de masse musculaire en restant alité pendant plusieurs mois, donc forcément, ça se ressent. Il me manque encore deux ou trois kilos. La forme revient doucement malgré tout, je progresse, il n’y a pas de stagnation, c’est super plaisant.
« JE NE ME PRÉPARE PAS POUR UN RÉSULTAT PRÉCIS »
Comment structures-tu ton entraînement ?
Je suis étudiant en STAPS, j’arrive à concevoir mes propres plans d’entraînement. Je continue également d’être accompagné par mon préparateur physique Baptiste Marie, préparateur du pôle France VTT. On est obligé de repasser par des phases de renforcement, notamment du soulevé de poids avec des intensités bien précises, pour essayer de regagner de la masse au niveau des jambes. Mais ce n’est pas facile. J’ai arrêté de faire du kiné parce qu’au bout d’un moment ils ne pouvaient plus rien faire pour moi, ils n’avaient pas cette notion de haut niveau. Je travaille exclusivement avec mon préparateur physique. Ça passe par beaucoup de renforcement musculaire en début de séance, de la mobilité. C’est ce qui me permet de rester en bonne santé parce que dès que j’arrête ça, c’est fou, mais mon corps se dégrade. Au niveau de ma luxation de hanche, si j’arrête la préparation physique, j’ai le fessier et l’ischio qui fondent.
Tu seras ce week-end au Circuit de Saône-et-Loire. Avec quelles ambitions ?
Ce qui est très bien avec le club version 2025, c’est qu’on a une équipe très homogène, et je pense qu’on peut avoir de grandes ambitions collectives plus que personnelles. On n’a pas un leader qui sort du lot comme on a pu avoir par le passé avec Thomas Morichon par exemple. On a vraiment tous un niveau assez similaire, même si, je l’avoue aujourd’hui, je suis peut-être encore celui le plus faible de l’équipe sur le papier. Je vois bien Matteo Godel ou Julian Burnet bien placés au général, mais bien sûr, il ne faudra pas se priver avec un ou deux électrons libres pour essayer d’aller chercher des étapes. Nous voulons être acteurs, comme sur chaque course. On veut essayer de faire briller le club et se faire plaisir.
« INTÉGRER LE MONDE HANDISPORT »
Et à titre personnel ?
Je prépare les courses, mais je ne me prépare pas pour un résultat précis. Le Saône-et-Loire, je l’ai préparé, j’ai fait des blocs de travail en amont pour pouvoir encaisser la course et être au mieux de ma forme. Mais après, de là à viser une place ou un podium… Le niveau est tellement élevé aujourd’hui que c’est difficile de dire que je souhaite faire telle ou telle place. De toute façon, tout est devenu tellement pro… Même en Elites, tout est optimisé. De mon côté, il y a certains sacrifices que je n’ai pas faits, et que je ne suis pas prêt à faire. Je ne suis pas forcément le coureur qui optimise le plus, mais peut-être celui qui prend le plus de plaisir. Ce qui compte, c’est la motivation et d’avoir un style de vie. Le fait de vouloir revenir au haut niveau, ça te donne un objectif chaque matin quand tu te lèves. Et je pense que c’est une des choses les plus importantes dans la vie : avoir un objectif le matin. Et d’ailleurs, un nouvel objectif approche.
Quel est-il ?
Après le Saône-et-Loire, je partirai faire la manche de Coupe du Monde handisport à Maniago en Italie, du 15 au 18 mai. C’est un gros objectif cette année de pouvoir intégrer le monde handisport. Je pars là-bas pour faire ma classification. Si je suis classifié, et qu’ils me déclarent athlète handicapé, je pourrai faire les deux compétitions qui sont prévues : le chrono le jeudi et la course en ligne le dimanche. En fonction des résultats, on verra ce qui en découle. C’est un premier jet, j’ai dû me débrouiller tout seul, le déplacement est 100% à mes frais. Le projet est de faire un peu comme Kévin Le Cunff ou Dorian Foulon. D’ailleurs, j’étais en équipe de France avec Dorian Foulon et c’est comme ça qu’est née l’idée de pouvoir intégrer le handisport. Après mon accident, il me disait qu’avec ce que j’ai, j’étais très certainement éligible. Et pour moi, ça pouvait être une vraie option.